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hausel et s’y défendre à tout prix. Quant à Montecuculli, il avait déjà établi sa petite armée dans l’île de Schutt. Ce vaste et fertile territoire, formé par les deux branches du Danube qui se séparent au-dessous de Presbourg pour se rejoindre près de la célèbre forteresse de Komorn[1], formait un véritable camp retranché : l’armée pouvait, selon les besoins, se porter au nord pour soutenir Neuhausel, au sud pour couvrir Raab. Les grands troupeaux de buffles qui paissent dans ces riches pâturages devaient assurer les approvisionnemens des troupes, car, pour l’entretien comme pour la paie des soldats, il ne fallait rien attendre de Vienne. Ces dispositions prises, sans perdre un instant, Montecuculli écrivit à l’empereur une lettre dont les dernières lignes montrent comment un honnête homme peut librement dire la vérité aux princes sans cesser de les respecter. «… Par le très humble attachement que je porte au service de l’empereur, auquel j’ai consacré trente ans de services sans manquer une seule campagne, j’en arrive aujourd’hui à faire le Croate avec un parti de 4,000 hommes. Du reste, je sacrifierai tout aux ordres de votre sacrée majesté, mais qu’elle me les donne clairs, catégoriques et exécutables. »


III

A Vienne cependant, tout était trouble et confusion ; jusqu’au dernier jour, on avait voulu fermer les yeux, ou s’était endormi sur les vaines promesses de Goës. Point de recrues appelées sous les drapeaux, point de soldats étrangers enrôlés à prix d’argent. Les casernes, les arsenaux, le trésor, tout était vide depuis dix ans, tout était à l’abandon, tout manquait de ce qui fait un état ; la nullité de Porcia régnait sur le fantôme de l’empire[2]. De cette misérable extrémité à laquelle on s’était laissé réduire sortit une résolution plus sage qu’héroïque ; des courages plus fiers l’auraient d’ailleurs jugée indispensable en un tel moment. L’empereur, son

  1. Komorn, surnommée « la vierge, » parce qu’assiégée dans toutes les guerres, elle n’a jamais été prise.
  2. La Gazette extraordinaire du 19 octobre 1663 public cette lettre d’un gentilhomme allemand : « Ces demandes ridicules et les promenades inutiles que les Turcs faisaient faire à notre plénipotentiaire n’étaient-elles pas suffisantes pour faire tomber le bandeau des yeux de nos ministres ? Enfin la marche du grand-vizir avec ces forces prodigieuses ne faisait-elle pas assez de bruit pour nous réveiller de notre profond assoupissement ?… Non, aucune de ces choses ne fut capable ni d’éclairer ni d’étonner nos ministres. La foi qu’ils avaient pour ceux qui n’en ont point et la crainte de dénoncer la guerre à ceux qui nous la préparaient firent au contraire qu’on donna d’abord l’ordre à nos gens de demeurer paisibles spectateurs des hostilités que nos ennemis exerçaient déjà par leurs courses sur les terres de l’empereur. »