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et de la France. Et cependant à l’avènement d’Abdul-Azis la crise suscitée par le défaut de numéraire avait atteint les proportions d’un véritable danger public. D’après les chiffres donnés dans l’ouvrage de M. Collas, le budget présentait annuellement un déficit normal de 37,500,000 francs. La dette flottante dépassait 450 millions et tendait à s’accroître démesurément par de nouveaux emprunts, dont les intérêts annuels s’élevaient, y compris l’agio, à 50 pour 100. Enfin le gouvernement était comme accablé sous le poids de 230 millions de francs d’un papier-monnaie connu sous le nom de caïmé. On ne peut que louer les mesures adoptées pour mettre fin à cet état de choses. La conclusion en Europe d’un emprunt de 200 millions destiné au rachat des caïmés et à la liquidation de la dette flottante vint d’abord démontrer la hausse du crédit de l’état. Commencée le 13 juillet 1862, l’opération du retrait des caïmés était heureusement terminée en trois mois. On avait remboursé 998 millions de piastres de papier-monnaie[1].

L’année 1862 a vu également la création d’une cour des comptes. Une banque d’état a été fondée en janvier 1863. C’est une combinaison anglo-française dans laquelle sont entrés le Crédit mobilier de Paris et l’établissement de crédit privé qui existe à Constantinople depuis 1837 sous le nom d’Ottoman-Bank. La nouvelle banque impériale ottomane, fondée au capital de 67,500,000 fr., fonctionne depuis le milieu de 1863 ; elle fait des avances au gouvernement, elle encaisse les impôts de toute nature. Un deuxième emprunt de 200 millions, conclu par l’intermédiaire des fondateurs de cet établissement, en a suivi de près la création, et sur le montant de cet emprunt 150 millions ont été affectés au remboursement de la dette flottante. Enfin le gouvernement a adopté un nouveau système de comptabilité. Il a prescrit à chaque ministère de transmettre un budget détaillé au ministre des finances, qui, pour l’exercice 1863-1864, a publié le premier budget général des recettes et dépenses de l’empire. Une fois entrée dans cette voie de bonne administration financière, la Turquie saura, nous l’espérons, s’y maintenir. C’est ainsi seulement qu’elle pourra tirer parti des grandes ressources matérielles de son territoire.

Quand on songe que plus des deux tiers de l’empire sont incultes, quand, on pense aux obstacles de tout genre qui découragent l’agriculteur et qui paralysent ses efforts, aux préjugés, à l’esprit de routine qui détruit dans leur germe tant d’élémens de prospérité, on s’attriste d’un état de choses d’autant plus regrettable qu’il est purement le fait de l’homme. Pourquoi le sol est-il en friche ? Est-ce parce que le paysan dédaignerait un gain licite et une honnête aisance ? Est-ce parce qu’il manque de force physique ou de courage moral ? Non : c’est qu’il n’y a pas de sécurité pour le travail, c’est que les récoltes sont exposées à des confiscations, c’est que l’impôt ne se perçoit pas d’une manière régulière. M. Collas le dit avec beaucoup de raison : « L’homme qui n’a aucun intérêt à produire, parce qu’il ne peut pas vendre, n’a aucun intérêt à rechercher les perfectionnemens. Lorsqu’il sera

  1. La piastre turque vaut 23 centimes. Pour 100 piastres en caïmés, on recevait 40 pour 100 en monnaie de bon or, et 60 pour 100 en obligations portant un intérêt de 8 pour 100, dont 2 pour 100 affectés à l’amortissement.