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le lac luisait tragique et chaste, et son onde métallique, avec ses reflets d’acier, était « le miroir de Diane. »

Au retour, quand on a rencontré le dos sinueux de la colline, on aperçoit la mer comme une plaque d’argent fondu qui lance des éclairs ; la plaine interminable, vaguement diaprée par les cultures, s’étend jusqu’au bord, et s’arrête cerclée par la bande lumineuse. Puis on suit des allées de vieux chênes lièges entre lesquels s’épandent des buis et le petit peuple toujours riant des arbustes verts ; on ne se lasse pas de cet été immortel auquel l’hiver ne peut toucher. Tout d’un coup, sous les pieds, du haut d’une croupe, on aperçoit le lac d’Albano, qui est un vase d’eau bleuâtre comme celui de Nemi, mais plus large et dans une plus belle bordure. En face, au-dessus des coteaux qui forment la coupe, se dresse le Mont-Cavi, sauvage et roussâtre, comme un monstre antédiluvien parent des Pyrénées et des Alpes, seul âpre au milieu de ces montagnes qui semblent dessinées par des architectes, coiffé bizarrement de son couvent de moines, tantôt sombre sous, l’obscurité des nuages, tantôt taché lividement par les nuées qui rampent sur sa crête, tantôt subitement éclairé par une percée de soleil et souriant avec une gaîté farouche ; — un peu plus bas que lui, Rocca di Papa, échelonnée sur une montagne voisine, toute blanche comme une ligne de créneaux, et rayant de ses maisons suspendues l’air orageux et menaçant ; — tout en bas le lac dans son cratère avec sa couleur d’étain, immobile et luisant comme une plaque d’acier poli, hérissé çà et là par la brise d’imperceptibles écailles, étrangement tranquille, endormi d’une vie mystérieuse et profonde sous les frissons silencieux qui le traversent, et réfléchissant dans sa bordure dentelée la couronne de chênes qui se nourrissent éternellement de sa fraîcheur. — On relève les yeux, et sur la gauche on voit Castel-Gandolfo avec ses édifices blancs, son dôme rond découpé dans l’air, ses pointes hérissées sur le rebord allongé du mont, comme des coquillages blancs incrustés sur la croupe d’un crocodile, puis enfin tout au fond, pardessus les crénelures de la montagne, l’infinie campagne romaine et ses millions de taches et de raies noyées sous une couche de brouillard et de lumière.

Un couvent de chartreux est posé sur le bord du lac. Toujours les moines ont choisi leurs sites avec un grand goût et une singulière noblesse d’imagination ; peut-être la vie religieuse, privée des commodités bourgeoises, affranchit-elle l’âme des petitesses bourgeoises, du moins elle y réussissait autrefois. Malheureusement l’horrible et le grossier viennent s’établir tout de suite auprès du noble. À l’entrée est une grille, et derrière la grille quantité de crânes et d’os de chartreux ornés des inscriptions appropriées ; te figures-tu l’effet sur un paysan, homme d’imagination, qui passe !