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pêtes. L’imprudente libéralité des évêques de Jérusalem avait grandement diminué la moitié qui leur avait été laissée, quoique, suivant une croyance superstitieuse répandue dans la chrétienté et admise même par Paulin de Nôle, les parcelles enlevées du saint bois s’y reformassent d’elles-mêmes miraculeusement. Ce qui restait était renfermé dans un étui d’argent dont l’évêque seul eut d’abord la clé, et qui fut placé plus tard sous la garde d’un prêtre de haut rang, responsable du sacré trésor. Une fois par an, à des époques qui varièrent, l’étui était porté avec pompe dans l’église supérieure, et le bois offert à l’adoration des fidèles : c’est ce qu’on appelait la fête de l’exaltation ; mais il arrivait aussi qu’en dehors des jours officiellement consacrés, la faveur de voir et d’adorer le monument du salut des hommes était accordée exceptionnellement à des personnages de distinction : on pense bien que Jérôme, Paula et leurs amis furent du nombre des privilégiés.

Dans l’église de la Croix, Paula, prosternée en face du bois sauveur, éprouva un de ces ravissemens extatiques qui accompagnaient chez elle les violentes émotions de l’âme. La parcelle de bois imprégnée du sang de la rédemption disparut à ses yeux ; c’était la croix elle-même qu’elle voyait, c’était le Christ percé de clous, bafoué, meurtri, rendant le dernier soupir, et elle ressentait tous les déchiremens de son agonie. « La ville entière de Jérusalem, nous dit Jérôme, fut témoin de ses larmes, de ses gémissemens, de l’effusion de sa douleur : le Seigneur, qu’elle priait, en fut aussi témoin. » Dans l’église du Sépulcre, elle se précipita sur la pierre qui avait fermé l’entrée du tombeau, l’enserrant de ses bras, et on ne pouvait plus l’en arracher ; mais lorsqu’elle eut pénétré dans la chambre sépulcrale, que ses genoux sentirent le sol qu’avaient touché les membres du Sauveur, que ses mains pressèrent la banquette de pierre où le corps divin avait reposé, elle défaillit. On n’entendait au dehors que le bruit entrecoupé de ses sanglots ; puis, reprenant ses forces, elle couvrit de baisers ces reliques inanimées ; elle y attachait ardemment ses lèvres comme sur une source désaltérante et longtemps désirée : on eût cru qu’elle voulait dissoudre ce rocher à force de baisers et de larmes.

Chaque station dans la ville sainte fut pour Paula le théâtre d’émotions pareilles. « Chaque lieu la retenait tellement, nous dit le narrateur de ces scènes, qu’elle ne consentait à le quitter que pour courir à un autre. » Lorsqu’ils eurent tout vu dans Jérusalem, les voyageurs en sortirent pour gravir au midi la colline de Sion et passer des douleurs de la nouvelle alliance aux splendeurs de l’ancienne ; mais quelles splendeurs présentait alors cette Sion tant célébrée par le roi-prophète ! L’enceinte de murailles n’existait plus, et on n’y pénétrait qu’à grand’peine, à travers les buissons et les