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générosité nous paraît aujourd’hui si naturelle que nous aurions quelque peine à défendre Cicéron de ne l’avoir pas toujours repoussée ; mais soyons sûrs que, s’il a cru quelquefois pouvoir l’accepter, il l’a toujours fait avec plus de modération et de retenue que la plupart de ses contemporains.

Nous connaissons une des formes les plus ordinaires et, à ce qu’il semble, les plus légales par lesquelles cette générosité s’exprimait. Il était d’usage à Rome qu’on payât après sa mort et par son testament toutes les dettes de reconnaissance et d’affection qu’on avait contractées pendant sa vie. C’était un moyen qui s’offrait au client de se libérer envers l’avocat qui l’avait défendu, et il ne paraît pas que la loi Cincia y mît aucun obstacle. Nous n’avons rien de semblable chez nous. À cette époque, un père de famille qui avait des héritiers naturels pouvait distraire la somme qu’il voulait de sa fortune et donner à ses parens, à ses amis, à tous ceux qui lui avaient été utiles ou agréables, une bonne part de son héritage. Cet usage était devenu un abus. La mode et la vanité s’en étaient mêlées. On voulait paraître avoir beaucoup d’amis en inscrivant beaucoup de monde sur son testament, et naturellement on inscrivait de préférence les plus illustres. Quelquefois on y réunissait des gens qui ne se rencontraient guère ensemble que là, et qui devaient être surpris de s’y trouver. Cluvius, un riche banquier de Pouzzolles, laissa son bien à Cicéron et à César après Pharsale. L’architecte Cyrus plaça en même temps parmi ses héritiers Clodius et Cicéron, c’est-à-dire les deux personnes qui se détestaient le plus cordialement à Rome. Cet architecte regardait sans doute comme une gloire d’avoir des amis dans tous les camps. Il arrivait même qu’on écrivait sur son testament des personnes qu’on n’avait jamais vues. Lucullus augmenta son immense fortune par les legs que lui firent des inconnus pendant qu’il gouvernait l’Asie. Atticus recueillit un bon nombre d’héritages de gens dont il n’avait jamais entendu parler, et qui ne connaissaient de lui que sa réputation. À plus forte raison un grand orateur comme Cicéron, qui avait tant d’obligés, et dont tous les Romains étaient fiers, devait-il être souvent l’objet de ces libéralités posthumes. On voit dans ses lettres qu’il fut l’héritier de beaucoup de personnes qui ne semblent pas tenir une grande place dans sa vie. En général les sommes qu’on lui lègue ne sont pas très importantes. Une des plus fortes est celle dont il hérita de son ancien maître, le stoïcien Diodote, qu’il avait gardé chez lui jusqu’à sa mort. Pour reconnaître cette longue affection, Diodote lui laissa toutes ses économies de philosophe et de professeur. Elles s’élevaient à 100,000 sesterces (20,000 francs). La réunion de tous ces petits legs ne laissa pas de former une somme importante. Cicéron lui-même