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haut rang, porteur de la lettre du prince, se présenta devant l’Euryalus ; il demanda que sa suite, d’environ quarante hommes armés, fût admise avec lui sur le pont du navire ; on accueillit cette demande après qu’un corps de marins anglais eut été rangé sur les gaillards. L’officier venait d’être introduit auprès du colonel Neal, quand on vit une seconde embarcation faire du rivage force signaux à la première. Les envoyés japonais expliquèrent alors qu’il y avait une erreur dans les termes de la réponse, et qu’une rectification était nécessaire ; puis le chef reprit la lettre et s’en retourna sans autres commentaires.

Cette démarche assez étrange pouvait être une ruse destinée à retenir les navires anglais dans la position désavantageuse qu’ils occupaient ; par prudence, le vice-amiral Kuper ordonna sur-le-champ l’appareillage. La division se porta vers le fond de la baie, mais sans pouvoir trouver, en raison de la profondeur extrême de l’eau, un mouillage convenable. L’Euryalus et le Perseus durent revenir jeter l’ancre devant la ville, à une distance double toutefois de la première, tandis que les autres navires s’arrêtaient dans la baie de Sakoura-sima, hors de la portée des batteries.

À neuf heures du soir, l’envoyé du prince de Satzouma se présenta de nouveau avec sa réponse définitive. Il la remit au colonel Neal en cherchant à rejeter l’incident de la matinée sur le compte d’un malentendu. La lettre, signée du premier ministre du daïmio, commençait ainsi : « Celui qui a tué doit être tué ; telle est la justice, car il n’y a rien de plus sacré que la vie humaine ;… » puis elle affirmait qu’en vertu de cette loi, observée au Japon comme ailleurs, le prince avait toujours eu l’intention de juger et de punir les assassins ; seulement il avait été impossible jusqu’alors de s’emparer d’eux ; les recherches demandaient du temps, et dès qu’elles seraient finies, on aurait soin d’aviser le ministre anglais de l’heure et du lieu de l’exécution. D’autres paragraphes, rédigés en termes passablement sarcastiques, justifiaient, en quelque sorte, la conduite des assassins du Tokaïdo :


« Les gouvernemens provinciaux du Japon sont subordonnés à celui de Yédo, dont vous n’ignorez pas qu’ils reçoivent les ordres ; nous savons qu’on a négocié un traité qui fixe les limites où les étrangers peuvent circuler, mais nous ne savons pas qu’il y ait une stipulation par laquelle ces mêmes étrangers puissent empêcher la circulation. Supposez qu’un pareil fait se produise dans votre pays, qu’il y soit dans vos habitudes comme dans les nôtres de ne voyager qu’accompagné d’un grand nombre de partisans, ne seriez-vous pas les premiers à châtier (c’est-à-dire à rejeter hors de votre chemin et à frapper) celui qui violerait les lois du pays ? Si l’on passait sur de pareils faits, bientôt les princes ne pourraient plus voyager.

« Nous convenons avec vous que la mort d’un homme est chose grave ;