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livrer une bataille. » Ce mot pourrait servir d’épigraphe à l’histoire de la pensée italienne depuis 1815 jusqu’à nos jours. Au fond des idées et des œuvres se cachait toujours la préoccupation nationale ; les philosophes, les poètes, les historiens, n’étaient que des patriotes déguisés. Tel penseur s’était montré tour à tour, avec une égale passion et une égale sincérité, papiste et anti-papiste, par l’unique raison que la papauté lui avait paru d’abord le salut, puis la ruine de l’Italie. Il ne fallut donc point user de violence pour changer les hommes de lettres en hommes politiques. Ils sentaient en outre qu’en de certains momens la science pour la science, comme l’art pour l’art, est impossible et serait condamnable, que l’Italie, pour accomplir son unité, convoquait toutes ses intelligences, parce qu’elle avait besoin de toutes ses forces, qu’il existe une conscription civile, volontaire il est vrai, mais d’autant plus impérieuse, à laquelle tout citoyen doit se présenter, qu’en face du devoir et du danger communs, on ne peut sans lâcheté refuser le service, qu’enfin le premier des Italiens, fût-il Goethe, serait regardé comme le dernier des hommes, si ses plaisirs, ses intérêts, ses études, le souci de son repos ou de sa gloire l’empêchaient d’être à son poste autour du drapeau national.

C’est ainsi que la politique absorba presque toute l’activité napolitaine. Les économistes qui avaient le plus doctement formulé leurs théories furent appelés à les mettre en pratique. On vit M. Scialoia réformer à Naples les tarifs de la douane et négocier à Paris avec M. Nigra le traité de commerce avec la France ; MM. de Sanctis, Mancini, Conforti, Manna, Pisanelli, Vacca, furent ministres : l’un d’eux, M. Pisanelli, vient d’attacher son nom à une grande œuvre encore inédite, le code civil italien. Le sénat accueillit plusieurs Napolitains appartenant à de grandes familles, ou représentant l’aristocratie de l’intelligence et du travail ; je citerai parmi ces derniers le botaniste Tenore, mort récemment, le cristallographe Arcangelo Scacchi, etc. La chambre des députés reçut dans son sein presque tous les méridionaux qui avaient un nom, Carlo Poerio en tête, et le nomma son vice-président. Silvio Spaventa fut appelé d’abord à Naples, puis à Turin, à des fonctions élevées du ministère de l’intérieur : cet esprit pensif et indécis, qui avait commencé par flotter confusément dans le mysticisme mazzinien et dans la spéculation germanique, descendit tout à coup dans les détails minutieux et compliqués de l’administration avec une capacité pratique et une infatigable activité. Antonio Ranieri l’ardent écrivain, Saverio Baldacchini le poète patriote, sont au parlement. Michèle Baldacchini, laissant ses manuscrits dans son portefeuille, a consacré sa vie à la fondation des asiles, à la première éducation des enfans du pauvre, dont le nouveau régime, en les arrachant au vagabondage,