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de là. Ce qui manque aussi aux lettrés et aux érudits contemporains ou successeurs des Casaubon et des Leclerc, c’est le goût des vastes échappées, de l’espace, des horizons baignés de lumière. Il ne fallut pas moins que le génie de Rousseau pour avoir raison des coutumes générales ou des préjugés sur ce point. La renommée des paysages qui encadrent le lac de Genève date du jour où les pages de la Nouvelle Héloïse et des Confessions vinrent pour ainsi dire les dénoncer à l’admiration publique et introduire dans les mœurs, comme dans le champ de l’imagination, le progrès que l’ample méthode et les découvertes de Saussure allaient bientôt déterminer aussi dans le domaine des sciences naturelles.

Quant à la peinture de paysage, elle ne reçut qu’un contre-coup assez faible de ce mouvement naturaliste imprimé aux idées de l’époque. Si, dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, les paysagistes de profession devinrent plus nombreux en Suisse ou s’ils se montrèrent plus féconds que par le passé, les œuvres qu’ils produisirent n’exprimèrent pour cela ni des intentions plus sincères, ni des habitudes moins conventionnelles. La grâce doucereuse ou la fausse majesté de leurs compositions renouvelées des pires traditions académiques, l’archaïsme prétentieux de leur style, dont les efforts tendent constamment à transformer le plus humble site en vallée de Tempé, tout, jusqu’à la molle facilité de la pratique, exclut assurément l’idée d’une bien forte influence exercée sur de pareils artistes par l’aspect même des lieux où ils vivaient. Ils pouvaient croire de la meilleure foi du monde qu’ils réalisaient dans leurs fades idylles les inventions poétiques de Théocrite ou de Virgile : on ne saurait en tout cas supposer qu’ils songeassent à peindre les choses comme Rousseau les avait décrites, c’est-à-dire avec la volonté d’être vrais, de rendre ce que leurs yeux avaient vu, ce que leur cœur avait senti. S’il fallait donc trouver dans la littérature contemporaine des œuvres analogues à ces menues contrefaçons pittoresques, à ces prétendues églogues inspirées par l’art d’une autre époque et par les livres bien plutôt que par la contemplation de la nature, les pastorales de Salomon Gessner fourniraient les témoignages d’une doctrine semblable, et, quant à l’exécution, des procédés à peu près équivalens.

Le souvenir de Gessner mériterait à plus d’un titre d’être évoqué ici. On sait en effet que l’auteur de Daphnis et de la Mort d’Abel ne se contenta pas de la plume pour retracer les scènes qu’il avait imaginées. A partir de sa trentième année, — c’est lui-même qui nous donne la date, — il entreprit de confirmer le sens de ses poèmes champêtres, d’en compléter l’expression avec le pinceau. De là cette série de gouaches pour la plupart reproduites par la gravure, et représentant, sous les titres modestes de solitude, de pont