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solennel pour le spectateur. Le métal bouillant sort du réservoir avec un éclat de lune fondue (c’est la comparaison des ouvriers), et, descendant en ruisseau par le canal principal, va d’abord remplir la dernière rainure, c’est-à-dire la plus éloignée de la fournaise. Au far et à mesure que le liquide ardent s’est introduit dans les rangées de gouttières, un ouvrier ferme la communication entre le conduit oblique et la grande artère latérale; il fixe en terre d’une main ferme un fer de bêche et jette du sable contre le courant. Le bain de métal est ainsi obligé de rebrousser chemin, et alimente l’un après l’autre tous les sillons, en finissant par les plus rapprochés du foyer. Le canal nourricier est appelé « la truie » (sow), et les autres sont censés être autant de a petits cochons » (pigs), qui têtent successivement le sein de la mère. De là le nom de pig iron que les Anglais donnent au fer fondu.

J’avais assisté d’abord le jour à cette scène intéressante; mais combien elle m’a paru plus grande et plus merveilleuse pendant la nuit! Toute l’usine avec ses fortes ombres et ses feux flamboyans se détache alors comme un édifice de cyclopes, tandis que le métal en fusion répand à la surface du sol une clarté blanche pareille à celle de la lumière électrique. Dès que le liquide commence à se figer, on jette du sable avec une pelle, ou l’on fait jouer un jet d’eau à la surface des pigs afin d’en réduire la chaleur incandescente. Plus tard, quand ils sont refroidis, on les relève, et ces longs blocs de métal ont naturellement pris la forme des moules, c’est-à-dire des sillons dans lesquels il ont été coulés.

Jusqu’ici le fer n’est encore que de la fonte (cast iron). S’agit-il maintenant de le convertir en fer malléable, c’est l’affaire d’un second procédé auquel on donne dans les usines anglaises le nom de puddling. Ce procédé, pour lequel Henri Cork reçut un brevet d’invention en 1784, consiste à briser la fonte en petits fragmens et à l’introduire sous cette forme dans une fournaise reverbératoire. Un ouvrier, appelé, à cause de ses fonctions, le puddler, dirige une colonne d’air à travers la grille et le foyer de manière à produire une chaleur extrêmement intense. Au bout de vingt minutes environ, la charge (c’est ainsi qu’on désigne le métal confié à la fournaise) commence à donner des signes de ramollissement. Lorsque toute la masse est arrivée à l’état de fusion, le puddler, armé d’un instrument de fer ayant la forme d’une houe, agite et remue le liquide, dont il présente sans cesse une nouvelle surface à l’action du feu. Durant ce travail, le bain de métal se soulève et s’enfle comme une mer, jetant des éclairs de flamme bleuâtre. Il est alors en train de se décarboniser sous l’action de l’oxygène de l’air qui circule dans toute la fournaise. Ce métier de puddler est l’un des plus pénibles