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des sociétés par actions. Vinrent d’abord les compagnies pour l’exploitation des mines de métaux précieux en Amérique. Les récits des voyageurs les plus compétens, ceux de Humboldt entre autres, touchant la merveilleuse richesse des gites argentifères du Mexique et du Pérou, enflammaient les imaginations. Par suite des luttes de l’indépendance, les mines avaient été assez délaissées ; mais si les filons fameux de la Valenciana et de la Veta-Grande avaient donné de si fabuleux produits avec le travail primitif des Indiens, que de trésors ne livreraient-ils pas à l’industrie britannique, munie de ses machines perfectionnées et des forces illimitées de la vapeur ! Les noms sonores de ces districts lointains exerçaient une fascination irrésistible. On croyait que les merveilles du Potosi seraient dépassées, et on s’attendait à voir couler des hauteurs de Zacatecas et de Guanaxato des fleuves ininterrompus de métaux précieux. Les actions des compagnies minières étaient disputées avec fureur, et par suite montaient avec un élan vertigineux. Celles de l’Anglo-Mexican, du Brasilian et du Columbian, sur lesquelles 10 livres étaient versées, se cotaient en décembre 1824 au-delà de 100 livres, et en janvier 1825 elles atteignaient respectivement 158, 166 et 182. Le Real del Monte, avec 70 livres versées, en valait 1,350. En même temps se fondaient d’innombrables sociétés industrielles. Parmi les principales, on comptait 20 sociétés pour établir des chemins de fer, 22 banques et maisons d’assurances, 11 compagnies pour le gaz, 9 pour des canaux, 27 pour des manufactures, beaucoup d’autres enfin pour fonder des brasseries, construire des bateaux à vapeur, bâtir des docks, etc. En tout, les souscriptions connues dépassèrent 100 millions de livres ou 2 milliards 1/2 de francs. Dans la session de 1825, le parlement reçut 438 demandes de concession et en accorda 286. Les entreprises les plus inconsidérées trouvaient des actionnaires confians. On vit s’établir ainsi une société pour percer l’isthme de Panama, dont on ne connaissait pas encore la configuration, une autre pour pêcher des perles sur les côtes de la Colombie, une autre enfin pour convertir en beurre le fait des vaches des pampas de Buenos-Ayres et pour y multiplier les poulets, afin d’en envoyer les œufs au marché de Londres. La confiance était sans bornes, parce que tout le monde gagnait et que toutes les valeurs faisaient prime. Il suffisait de souscrire à n’importe quoi et de posséder le moindre titre mobilier pour réaliser des bénéfices. La fable du roi Midas se réalisait, et nul ne songeait à s’en plaindre : tout ce qu’on touchait se changeait en or. Toutes les classes se lancèrent dans l’arène de la spéculation ; chacun prenait part à ce steeple-chase universel, qui avait pour but la fortune acquise sans effort. Comme il ne fallait verser d’abord que 5 ou 10 pour 100 des sommes souscrites, il semblait facile de gagner beaucoup en exposant très peu. C’était