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tout bas en pensant au Capitole ? Ce grand nom trouble par avance, et l’on est désappointé de trouver une place de grandeur médiocre entre trois palais qui ne sont point grands. Elle est belle cependant ; un grand escalier de pierre lui fait une entrée monumentale. Deux lionnes de basalte gardent le pied de sa rampe ; deux statues colossales en gardent le sommet. Des balustrades raient l’air de leurs rangées solides. Cependant, sur la gauche, un second escalier d’une longueur et d’une largeur énormes échelonne ses gradins jusqu’à la façade rougeâtre de l’église d’Ara-Cœli. Sur les degrés trônent par centaines des mendians aussi déguenillés que ceux de Callot, et qui se chauffent au soleil majestueusement sous leurs chapeaux bossues, dans leurs souquenilles brunes. Tout ce spectacle se montre d’un regard, couvent et palais, colosses et canaille ; la colline, chargée d’architecture, lève tout d’un coup au bout d’une rue sa masse de pierre tachée d’insectes humains qui grouillent. Cela est propre à Rome.

Le Capitole.

Au centre de la place est une statue équestre de Marc-Aurèle en bronze. L’attitude est d’un naturel achevé ; il fait un signe de la main droite : c’est une petite action qui le laisse calme, mais qui donne de la vie à toute sa personne. Il va parler à ses soldats, et certainement parce qu’il a quelque chose d’important à leur dire. Il ne parade pas ; ce n’est pas un écuyer, comme la plupart de nos statues modernes, ni un prince en représentation qui fait son métier ; l’antique est toujours simple. Il n’a pas d’étriers ; c’est là une vilaine invention moderne, un attirail qui nuit à la liberté des membres, une œuvre de ce même esprit industriel qui a produit les gilets de flanelle et les socques articulés. Son cheval est d’une forte et solide espèce, encore parente des chevaux du Parthénon. Aujourd’hui, après dix-huit cents ans de culturelles deux races, l’homme et le cheval, se sont affinées ; ils arrivent à l’air distingué. À droite, dans le palais des conservateurs, est un superbe César de marbre, en cuirasse ; la pose n’est pas moins virile et naturelle. Les anciens ne faisaient point cas de cette délicatesse à demi féminine, de cette sensibilité nerveuse que nous appelons la distinction et qui nous plaît tant. Aujourd’hui, à un homme distingué il faut un salon ; il est dilettante, il parle bien aux femmes ; quoique capable d’enthousiasme, il est enclin au scepticisme ; sa politesse est exquise, il n’aime pas les mains sales et les mauvaises odeurs ; il ne veut pas qu’on le confonde avec le vulgaire. Alcibiade ne craignait pas d’être confondu avec le vulgaire.

Un colosse énorme écroulé a laissé là ses pieds, ses doigts, sa tête de marbre ; les fragmens gisent dans la cour entre les colonnes.