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ques bons élémens dans Renée Mauperin, et s’il fallait choisir, je préférerais encore ce récit à Sœur Philomène, bien que les auteurs, en prenant la donnée la plus délicate, en racontant l’histoire d’une jeune sœur de charité qui se laisse aller tout bas à aimer un interne, aient su éviter l’écueil principal d’un tel sujet.

L’histoire de cette sœur Philomène vise à être une étude intime, morne et inexorable, encadrée dans sa description minutieuse de la vie d’hôpital. Le malheur de ce petit roman est de tomber dans un réalisme outré. Et si on me dit que tout cela est vrai, que les salles d’hôpital ont cet aspect, qu’il s’en exhale cette odeur écœurante, que la clinique n’est point autrement, je répondrai qu’il y a bien d’autres choses qui sont vraies dans l’échelle du monde visible, animé ou inanimé, que bien d’autres phénomènes existent réellement, et que ce n’est pas une raison pour que l’art aille tout reproduire, par ce motif bien simple que l’art est dans le choix, dans l’interprétation des élémens qui lui sont offerts, nullement dans la copié littérale de tel ou tel détail indifférent ou repoussant. Je reprendrai ce que dit cette pétulante Mlle Mauperin : « … J’en ai assez, mon Dieu ! peut-on s’amuser à faire laid,… plus laid que nature ! quelle drôle d’idée ! d’abord, en art, en livres, en tout, je suis pour le beau, et pas pour ce qui est vilain… Et puis c’est que je ne trouve pas ça amusant du tout… » Mlle Renée parle fort lestement. Si les auteurs l’eussent un peu écoutée, ils eussent à coup sûr évité leur plus gros péché, le plus récent, cette Germinie Lacerteux, dont je ne sais plus que dire, parce qu’ici on n’est ni à l’hôpital, ni à une partie de natation, mais dans l’atmosphère de la plus basse, de la plus matérielle corruption. Imaginez une jeune fille sortant de son village pour servir à Paris, violée dans une arrière-boutique par un vieux garçon de café, puis (emportée par les exigences de son tempérament à tous les excès et finissant par descendre dans la rue pour aller mourir à l’hôpital. Le beau et savoureux poème ! Pendant tout un volume, les auteurs vous promènent au milieu de ces rebutantes grossièretés, à travers ces aventures d’une servante hystérique qui est amoureuse de tout le monde, même de son confesseur quand elle en est encore à se confesser. Voilà ce que les auteurs appellent de l’art vrai, humain, élargi aux proportions de la démocratie moderne, et ce qu’on peut plus justement appeler une prodigieuse erreur de goût. Je n’ai jamais lu que vingt pages de la Paysanne pervertie de Rétif de La Bretonne, et j’en ai eu assez et même trop : Herminie Lacerteux produit, ce me semble, exactement le même effet par le genre d’invention et par le style. MM. Edmond et Jules de Goncourt peuvent bien nous assurer dans leur préface qu’ils ont entendu faire œuvre pie et morale, qu’ils sont de la religion de l’humanité, que leur roman « est sévère et pur, » qu’ils ont fait « la clinique de l’amour, « chose très différente des polissonneries érotiques, et qu’ils ont sans doute mérité le prix Monthyon pour avoir osé peindre les misères des petits et des humbles. Tout ceci est bon pour une préface. C’est une illusion assez commune chez ceux qui