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d’état. Révolutions et coups d’état ont tout changé dans son entourage, et ont envoyé tour à tour au pouvoir ou dans la retraite la foule agitée de ceux dont il fut le modeste collaborateur. Lui seul est resté, paisible et serein, fidèle à la plume et aux ciseaux. Comment un homme de cette expérience et de cette circonspection est-il venu compromettre le fruit d’une carrière si sage par un acte inconcevable d’audace et d’étourderie ? M. Boniface a voulu se mêler à l’entretien de M. de Girardin et de M. de Persigny ; il a osé y prendre part en messager et en porte-parole de l’empereur. Un homme de cette longue pratique parlementaire n’a pas craint de découvrir la couronne. Il a fait la leçon à un ancien ministre, à un membre du conseil privé, à un duc ; il lui a annoncé, et il a mis le public tout entier dans la confidence, qu’il avait encouru le déplaisir de l’empereur en improuvant le régime actuel de la presse. M. Boniface a pris là vis-à-vis de l’empereur une liberté bien étrange ; il a usurpé les attributions du Moniteur ou du ministre d’état ; il réduit des hommes tels que nous, habitués non-seulement par les traditions parlementaires, mais par les devoirs de politesse qu’enseigne le code éternel de la civilité puérile et honnête, à ne point mettre les souverains en cause, il nous réduit, dis-je, à ne point croire à la solidité de ses prétentions et à la véracité de ses assurances. Nous n’avons du reste qu’à nous applaudir de n’avoir attaché aucune importance aux velléités libérales qu’on attribuait à M. de Persigny. L’équipée de M. Boniface a eu pour résultat la publication de la lettre de l’ancien ministre, et la faute de celui-ci a paru bien vénielle. S’il croit que le régime des journaux a besoin d’être modifié, il n’en garde pas moins pour la presse ce dédain qu’ont toujours professé les gens du bel air et les personnes de qualité. Pauvre presse ! M. de Persigny continue à faire peu de cas de toi, et M. Boniface ne veut point encore que tu sois libre : voilà pour aujourd’hui le dernier mot de la comédie.

S’arrêter à de pareilles misères quand il se passe en ce moment dans le monde tant de choses sérieuses et grandes, c’est en vérité, comme disait Mme de Sévigné, se chatouiller pour se faire rire. En attendant que M. de Girardin ait achevé de persuader M. de Persigny et que celui-ci soit parvenu à convaincre M. Boniface, la liberté vient d’accomplir en Amérique un acte qui a de quoi consoler et enorgueillir ses amis. Nous voulons parler de l’élection présidentielle des États-Unis. La réélection de M. Lincoln à la présidence est un événement d’une haute portée non-seulement pour les États-Unis eux-mêmes, mais pour le monde. Il est intéressant d’étudier le caractère de cette élection, le tour qu’elle va donner à l’attitude des partis au sein des États-Unis, l’influence qu’elle peut exercer sur les dispositions des états séparatistes, et le retentissement qu’elle doit avoir sur la vie politique de notre Europe.

Une élection présidentielle au milieu d’une guerre acharnée comme celle que poursuivent les États-Unis était la plus terrible épreuve que pût