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tonne d’une voix émue ces vers que son mari vient d’ajouter au texte de l’opéra-comique :

Demain, bataille ! jour de gloire !
Que dans les fastes de l’histoire
Triomphe encor le nom français,
Digne d’éternelle mémoire[1] !


Et comme ce changement de texte étonne les assistans, l’actrice ajoute : « Demain, messieurs, relâche à cause de la bataille. Après-demain, nous aurons l’honneur de vous donner le Coq du village. » Plus de doute, c’est le maréchal qui a fait proclamer cet ordre du jour ; on s’élance, on s’informe, et bientôt un seul cri : balaille ! retentit d’un bout du camp à l’autre. L’armée ne marchera plus seulement pour changer de position et forcer l’ennemi à reculer, elle ira l’attaquer dans ses retranchemens. Ce grand choc eut lieu le 11 octobre 1746. Au moment où s’ébranlaient les colonnes d’attaque, Maurice, décidé à vaincre, donnait cet ordre aux commandans : « Que les attaques réussissent ou non, les troupes resteront dans la position où la nuit les trouvera, pour recommencer au jour à se porter sur l’ennemi. » Cette seconde bataille ne fut pas nécessaire pour disperser l’armée du prince Charles ; on sait qu’après deux ou trois heures d’une mêlée meurtrière l’ennemi fut mis en déroute, et que la nuit seule empêcha notre cavalerie de sabrer les fuyards. Le lendemain, Maurice, ayant à écrire au ministre du roi de Pologne pour une affaire particulière, car, une fois les grosses besognes terminées, il réglait volontiers ses petits comptes, lui annonçait en ces termes la victoire de Raucoux :


« Sur le champ de bataille, sous Liège, le 12 octobre 1746.

« Monsieur,

« J’ai battu hier M. le prince Charles à plate couture, et si j’avais eu deux heures de plus de jour, il ne se serait rien sauvé, parce que je le tenais dans l’encoignure entre le Jaar et la Meuse ; la nuit nous a pris au bout de deux lieues de poursuite… L’attaque de Lowendal, que j’avais détaché à ma droite et que j’attendais depuis dix heures du matin (car j’étais en présence dès cette heure-là), n’a commencé qu’à trois heures après midi. Ainsi on ne peut compter le commencement de la bataille que de trois heures après midi ; à cinq, tout était en déroute, et à six il a fallu s’arrêter. Heldreich, que j’envoie au roi, pourra rendre un compte plus détaillé à votre excellence ; mais tout cela n’est point le sujet de cette lettre. Quoique je ne compte guère sur l’amitié de votre excellence, je prends cependant la liberté de vous demander un service… »


Ainsi une puissante armée, réduite à l’inaction depuis deux mois et qui n’avait pu dégager une seule des villes assiégées par les

  1. Mémoires de Favart, Paris 1808, tome Ier, page XXV.