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molissant par des canonnades fréquentes les batteries que les confédérés ne se lassaient pas de reconstruire.

Quant à la prise de Charleston, que les optimistes du nord croyaient naïvement devoir succéder à l’occupation de l’île Morris, le général Gillmore ne pouvait rêver un instant d’accomplir un pareil exploit avec le petit nombre de troupes dont il disposait. Charleston est certainement l’une des places du monde les mieux fortifiées par l’art et par la nature. Tout le pourtour de la rade, offrant un développement de 20 kilomètres environ, est comme bardé de forts et de redoutes : la forteresse Johnson, la batterie Simkins, la batterie Royale, la batterie Bee, le fort Moultrie, la batterie Beauregard, bien d’autres encore. Des ouvrages s’élèvent sur chaque promontoire, défendent l’entrée de chaque crique. Les deux îlots de Ripley et de Castle-Pinckney, situés au milieu de la rade, portent chacun sa forteresse, et les quais de Charleston, qui bordent en amont de leur confluent les rives des fleuves Ashley et Cooper, se montrent tout hérissés de remparts. Enfin quelques navires cuirassés, des rangées de pieux, des machines infernales, complètent du côté de la mer les moyens de résistance accumulés par les généraux confédérés. Du côté de la terre, au nord et au sud, c’est principalement la nature du sol qui défend les abords de Charleston. Les îles, au terrain spongieux, sont coupées de marécages au bord desquels nulle armée ne peut s’aventurer sans être aussitôt décimée par les fièvres. Des marigots vaseux, trop peu profonds pour servir de voies navigables aux canonnières, se développent en un vaste labyrinthe à travers les forêts et les prairies tremblantes de l’archipel ; enfin les deux fleuves qui s’épanchent dans l’estuaire de Charleston ont chacun plus d’un kilomètre de large, et rendent ainsi l’investissement de la ville presque complètement impossible. Pour opérer sérieusement contre Charleston sans l’appui d’une flotte cuirassée, le général Gillmore aurait eu besoin de 100,000 hommes au moins, tandis que l’effectif de son armée n’a jamais atteint 10,000 combattans. Il est vrai que l’amiral Dahlgren aurait pu essayer de pénétrer de vive force dans la rade ; mais l’expérience tentée une première fois en avril 1863 n’avait pas été assez encourageante pour que la flotte fédérale se hasardât à dépasser de nouveau le fort Sumter. N’occupant pour ainsi dire qu’un point à l’entrée de cette rue de batteries que forment les bords de la rade, le général Gillmore ne pouvait faire qu’une seule chose, inquiéter l’ennemi et le tenir sans cesse en haleine en engageant un duel d’artillerie tantôt avec un fort, tantôt avec un autre.

La grande puissance des pièces employées par les deux armées hostiles devant Charleston est un fait nouveau dans l’histoire des sièges. Les confédérés ont armé leurs forts de canons Whitworth,