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« Autant que j’ai pu m’en assurer, l’insurrection n’a pas été organisée ou préparée par les chefs politiques du parti anti-russe. » L’agent consulaire à Varsovie, M. Stanton, très hostile d’abord aux insurgés, et qui puisait ses informations aux sources russes et prussiennes, ne peut cependant écarter (11 février) la remarque qui suit : « A la vérité, milord, un certain nombre de personnes pensent que le gouvernement (russe) a fait son possible pour amener la situation présente, dans l’intention expresse de se faciliter la destruction des sentimens nationaux par un massacre général de tous ses adversaires… » Le langage de l’ambassadeur de sa majesté britannique à la cour de Saint-Pétersbourg est encore bien plus significatif, et mérite de nous arrêter quelques instans. Lord Napier ne faisait pas mystère de son profond attachement à la Russie, et nous avons déjà parlé du peu de plaisir qu’il prenait aux affaires polonaises. Il s’était lié d’une manière très intime avec le marquis Wielopolski pendant le séjour de ce dernier à Saint-Pétersbourg (en 1862), et, dans ses lettres adressées à quelques membres de l’émigration polonaise qui lui étaient particulièrement connus, il n’avait cessé de réclamer leur appui pour « son noble ami, homme éminent et savant (learned), et qui lui rappelait à certains égards les anciens chanceliers de France. » Et toutefois, dès le premier moment, il n’hésite pas à caractériser la mesure prise par le marquis Wielopolski, « la seule erreur grave de cet homme d’état, » dans les termes les plus sévères : « On a eu le dessein de faire une razzia complète de la jeunesse révolutionnaire en Pologne, de comprimer les esprits les plus énergiques et les plus dangereux dans l’étreinte du service militaire russe ; c’était simplement un plan pour se débarrasser de l’opposition, et la déporter en Sibérie et dans le Caucause… Le résultat est déplorable, mais il est tout naturel (26 janvier). » Quand, quelques jours plus tard, le Journal officiel de Saint-Pétersbourg, abandonnant tout à coup la thèse odieuse d’une Saint-Barthélémy dont les Polonais auraient commencé l’exécution, et que le gouvernement n’avait fait qu’étouffer, avouait franchement que la conscription était une mesure anormale, mais inévitable, pour le maintien de l’autorité russe en Pologne, et rappelait le fameux adage : « La légalité nous tue, » lord Napier s’empressa de communiquer au chef du foreign office l’étrange apologie de l’organe officiel et de l’accompagner de ces remarques éloquentes (7 février) : « Le gouvernement russe avoue que son autorité ne peut être maintenue par la stricte légalité. « La légalité nous tue, » dit-il, et il confesse que le recrutement a dû être employé comme un moyen de disperser, de bâillonner et de réduire à l’impuissance des adversaires politiques. Dans mon humble opinion, ni l’existence préalable d’une conspiration, ni le but de détruire les plans révolutionnaires