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humeur, chantant ou s’entretenant dans leur belle langue si sonore.

Quand arrivons-nous?
Quand arrivons-nous?
Ce soir, ce soir.


Tel est le refrain que chantent le plus volontiers en frappant du plat de la main sur les longues barres du takon ces porteurs infatigables. Et ils vont ainsi par monts et par vaux, la tête le plus souvent découverte sous ce soleil de feu, n’ayant d’autre vêtement qu’un simple langouti ou ceinture de toile, qui remplace la feuille de figuier. Vous pouvez leur confier hardiment votre vie. Ils entreront dans l’eau ou dans la vase jusqu’à mi-jambes, vous porteront sur leurs épaules à travers d’effroyables précipices; mais n’ayez crainte, vous ne courrez aucun risque, et l’on dit qu’il n’est pas d’exemple dans tout Madagascar d’un accident qui soit survenu aux voyageurs portés en takon.

Quand le soir vient, comme le plus souvent on doit se remettre en marche le lendemain, il serait naturel de croire que les porteurs vont se livrer au repos. Il n’en est rien cependant. Le soir c’est le moment des danses effrénées, des chants en plein air, de la musique et des chœurs; chaque Malgache, excité par d’abondantes libations de bessabesse, l’hum de basse qualité fabriqué avec d’impures mélasses, se trémousse et s’en donne à cœur joie, et l’on peut voir dans les haltes cet indigène de la grande île africaine, cet autochthone des tropiques, fièrement drapé dans son lamba, se livrer à ses danses étourdissantes, créant parfois des pas qui font honneur au génie chorégraphique madécasse.

C’est ainsi qu’au milieu des cris et des jeux de notre troupe de porteurs, brisés le plus souvent par)a fatigue, nous finissions par nous endormir le soir dans quelque mauvaise cabane, étendus sur une natte et roulés dans notre manteau; mais nos infatigables Malgaches dansaient et chantaient toujours. Ce n’était que bien avant dans la nuit que s’éteignaient les derniers chants avec les dernières danses. Le matin, tout était rentré dans l’ordre, et nos gens se trouvaient prêts, dès les premières lueurs de l’aurore, à recommencer leur marche de la veille. Heureux ces gais enfans de l’Afrique! heureux ces hommes insoucians à qui suffit le soleil avec tous les biens qu’il donne ! La Providence n’a-t-elle pas pourvu à tous leurs besoins ? Une banane, une poignée de riz, une gorgée d’eau fraîche et le sommeil sous les grands arbres, tout cela arrosé de ²bessabesse, cette liqueur de feu qui excite à la danse et au chant, voilà tout ce que demande le Malgache, et ses désirs sont facilement satisfaits.

Les promenades en takon ne furent pas les seules que nous entre-