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les droits de douane, si chers aux employés du littoral, furent solennellement rétablis. Le canon fut tiré en signe de réjouissance, et le gouverneur de la province fit prévenir par voie officielle les consuls et agens consulaires de France, d’Angleterre et des États-Unis, ainsi que les principaux traitans, que les anciens règlemens étaient remis en vigueur. Comme sous la vieille reine, le droit sur les marchandises exportées fut fixé à 20 pour 100 et payable en argent, moitié par le vendeur, moitié par l’acheteur. Pour les importations, on ne pouvait tout d’abord atteindre qu’une des parties, et le droit fut réduit à 10 pour 100 ; mais il fut fixé à 30 pour les spiritueux, les vins, les liqueurs et boissons fermentées, comme si les Hovas voulaient à tout prix faire respecter l’article 1er de leur nouvelle constitution, qui porte que la reine ne boira pas de liqueurs fortes. Il faut avouer que dans ce curieux pays constitutions et règlemens de douane renferment des articles bien étranges.

Dès le lendemain de la promulgation du décret rétablissant les droits de douane, la mesure fut mise à exécution. On avait bien voulu la faire exécuter sur l’heure, la veille, au son du premier coup de canon ; mais un vieux loup de mer provençal, le capitaine Durand, en train d’embarquer des bœufs, des volailles et des porcs pour Saint-Denis, persuada au chef de la douane que, dans les i3ays civilisés, on donnait toujours vingt-quatre heures de répit aux ayants-cause pour se préparer à l’exécution d’une loi nouvelle. Les douaniers de Tamatave, désireux de singer les blancs et flattés d’agir à la façon des nations éclairées, se rendirent aux raisons péremptoires du capitaine Durand. Celui-ci eut le temps d’achever sa cargaison et partit le lendemain au grand ébahissement de la douane madécasse, qui en aura été quitte pour le faire payer double à son second voyage. Il passe cependant pour bien madré, ce bon capitaine Durand, ce père nourricier de la colonie de Bourbon, comme il s’intitulait lui-même modestement, ce père du marin, comme l’appellent ses matelots. Il prend si grand soin de son équipage qu’il n’engage jamais un homme sans lui promettre des simirires, filles malgaches inscrites à la douane de Tamatave. Ces dames se disputent le soir l’insigne honneur de monter sur les canots des navires de commerce qui viennent les prendre à la plage pour les conduire à bord, où elles égaient toute la nuit l’orgie brutale des matelots. C’est une fête pour elles quand arrive le Mascareignes, et elles reconnaissent avec des cris de joie les canots du père Durand. « Eh bien ! capitaine, quelles nouvelles ? que devient la mission ? » lui demandaient quelquefois nos camarades tristement restés à La Réunion, quand il venait déposer dans la rade de Saint-Paul sa cargaison de bœufs. « Les nouvelles ? répondait ce fils de la Provence avec son accent caractéristique : si vous parlez