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la fois esclaves et espions de la reine, rappelant par ce dernier côté les ombres des ambassadeurs japonais, ne devaient pas quitter d’une minute les deux envoyés malgaches.

Ce fut un grand jour à Tamatave que celui où arrivèrent ces quatre ambassadeurs. Depuis quelque temps déjà, des coureurs expédiés en avant avaient annoncé la venue des illustres personnages. Le matin où ils firent leur entrée triomphale, des députations allèrent au-devant d’eux jusqu’à Ivondrou, à 6 kilomètres de Tamatave, d’où le cortège partit. En tête marchaient les soldats, les deux mains occupées, l’une portant la lance acérée, l’autre le fusil à pierre. Ils étaient vêtus d’une blouse, et un double baudrier blanc se croisait sur leur poitrine. Le capitaine qui les commandait avait sur la tête un chapeau de soie noire cylindrique et de tons mordorés, un mouchoir à la main, une redingote sur le dos, et tenait un sabre nu. A la suite de la troupe venait la musique militaire, faisant entendre sur des instrumens de cuivre des airs nationaux assez mal exécutés, et derrière la musique, fermant la marche et portés sur des palanquins, les personnages de distinction qui s’étaient joints au cortège, puis les deux tsimandos, enfin Rainivoumiale et Raharla. A Madagascar, on le voit, les premiers sont les derniers, comme dans l’Évangile. La princesse Juliette, vêtue de son costume de gala, robe de velours rouge ornée de pierreries, parasol de soie rouge, les cheveux poudrés à blanc, et une couronne d’or au front, animait cette fête de sa joie et de ses lazzis[1]. Nous reconnaissant parmi les curieux, elle nous pressa d’entrer dans le fort, où une collation était servie. Nous refusâmes poliment, et nous assistâmes du dehors à la salve de treize coups de canon qui fut tirée pour la circonstance. Les vieux pierriers de fonte, gisant sur les barbettes du fort, sautaient sur leurs affûts (quand ils en avaient), menaçant d’éventrer les artilleurs; l’un des canons descendit même jusqu’au bas des glacis; on le remonta à grand’peine et on le bourra de nouveau. Pendant ce temps, il y avait un kabare au fort, c’est-à-dire une grande assemblée à laquelle tout le peuple prit part, suivant l’usage, et où se firent entendre divers orateurs. Après le

  1. La princesse Juliette descend des anciens rois de Tamatave. Elle est fille du prince Fiche, assassiné avec Jean-René par ordre de Radama Ier, quand celui-ci fit la conquête de la côte est de Madagascar et brisa la confédération des Bétanimènes. Mademoiselle Juliette, comme on la nomme, est une fort gracieuse personne, pleine de verve et d’esprit, portant bravement, sans qu’il y paraisse, le poids des années. Elle a été élevée à La Réunion et à Maurice, elle parle et écrit le français avec beaucoup d’aisance. Elle s’est toujours montrée fort aimable pour les membres de la mission, et sa position était cependant très délicate. Depuis l’avènement de Radama II, elle a pris rang à la cour comme princesse du sang royal, ce qui lui donne le droit de porter des vêtemens et un parasol rouges.