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multicolores, et des épaulettes d’or d’une longueur démesurée tombaient du haut de son habit jusqu’à la moitié des manches. Ce luxe étincelant contrastait singulièrement avec l’état délabré de la pirogue, qui faisait eau de tous côtés, et avec le costume primitif des rameurs, à peu près nus. Un mouchoir blanc et son chapeau dans une main, Ramare monta l’échelle d’un pas tremblant, et, après avoir subi l’affront de voir l’officier de quart se retirer devant la main restée libre qu’il lui présentait, il vint se placer debout sur le pont, flanqué de ses deux aides-de-camp. Ceux-ci étaient revêtus d’un costume de fantaisie ayant la prétention de rappeler celui des officiers de marine, comme Ramare avait voulu se montrer à nous en uniforme de lieutenant-général. Ces trois envoyés témoignaient d’ailleurs par leur teint bistré, leurs yeux en amande, leurs pommettes saillantes, leurs lèvres fines et leurs cheveux soyeux, qu’ils appartenaient à la race supérieure du pays, celle des Hovas, rameau détaché de la grande famille malaise à une époque de migration fort reculée.

Au lieu de recevoir ces braves gens, tout étonnés, tout émus de leur mission, et qui s’efforçaient de nous sourire, le commandant les fit congédier sans façon après un quart d’heure d’attente. Le lendemain, même réception fut faite à Rasoule, officier du palais, porteur d’une lettre de la reine. Il vint aussi en grande tenue, et debout sur la dunette, la tête découverte, il attendit avec plus de calme et de dignité que l’envoyé de la veille que l’on voulût bien lui donner congé. Le commandant de l’Hermione prétendait ne traiter, en sa qualité d’envoyé extraordinaire, qu’avec le gouvernement central, et se mit de nouveau en relation directement avec la reine et M. Laborde à Tananarive. Dans l’intervalle eut lieu, le 30 août, dans le fort de Tamatave, la proclamation officielle de Rasoaherine comme reine de Madagascar. Nous assistâmes à la fête en curieux, et le spectacle était vraiment magnifique. Autour d’une longue table chargée de vins d’Europe, de pâtisseries et de fruits tropicaux, étaient rangés tous les officiers de la province, en grande tenue, habits brodés de drap ou de velours, sabres aux ciselures étincelantes, tricornes gigantesques, épaulettes d’un pied de long. Un Français, M. Estienne, naguère encore capitaine au long cours, et qui aujourd’hui cumulait le titre de grand-amiral et commandant du port de Tamatave avec celui de général de division des forces malgaches, avait jusqu’à quatorze galons sur chaque manche, depuis le coude jusqu’au poignet. Le nombre des aiguillettes qui se balançaient sur sa poitrine était en rapport avec celui des galons. Auprès de la table se tenait debout le maître des cérémonies, qui disparaissait dans une houppelande blanche à ramages que lui