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Gabrielle ne répondit pas à cette question, mais elle fixa un clair regard sur M. d’Hérelles. — Et à vous, lui dit-elle, votre femme vous est-elle donc indifférente ?

Ces quelques mots causèrent à Maxime une sensation aiguë et froide. Ainsi Mme Dorvon prévoyait comme lui que, pendant leur absence, Laurence et Victor seraient libres. Maxime ne pouvait lui apprendre qu’en priant quelques amis d’accompagner Laurence le soir de la fête, il avait pris autant qu’il dépendait de lui ses mesures contre un tel danger : c’eût été lui dire que, sans cette précaution, il ne se fût point risqué là où il voulait l’entraîner; seulement ce qui ressortait du maintien et du langage de Mme Dorvon, c’est que, de son côté, elle ne voulait point laisser seuls Mme d’Hérelles et Victor. Maxime n’était donc pas aimé d’elle, comme il l’avait cru. Une double jalousie le mordit au cœur : il se vit à la fois trahi par sa femme et par Gabrielle ; mais en ce moment il tenait plus à cette dernière qu’à Laurence. En se voyant presque déchu de ses espérances, il se sentit sous l’empire d’une convoitise haineuse et prête à tout. Aussi voulut-il engager irrévocablement Gabrielle. Il s’inclina vers elle et lui dit d’une voix vibrante : Je n’aime que vous. — Il est rare que l’accent de la passion chez un homme supérieur qui s’exprime moins en suppliant qu’en maître n’intimide point les femmes. Dans la naïveté de leur amour-propre, elles sont sensibles à ces sacrifices qu’on leur propose, si exagérés qu’ils soient. Ne sont-ils pas un hommage à leur empire et à leur beauté? Puis pour qui s’obstinait-elle à résister? Pour un ingrat qui n’hésiterait sans doute point à la tromper, à qui de tels scrupules seraient inconnus. Dans l’agitation où elle était, cette pensée de représailles la domina tout entière. Elle prit d’un geste brusque la main de Maxime et la lui serra avec force. — Eh bien! oui, dit-elle, à ce soir!

Et aussitôt, confuse et tremblante d’émotion, elle s’éloigna rapidement.

La même scène à peu près s’était passée entre Laurence et Victor; mais à mesure que Victor la pressait davantage, les doutes de Laurence augmentaient. Sa position n’était pas celle de Mme Dorvon : elle n’était pas libre de fait, si elle croyait l’être de cœur. Elle était liée non-seulement par ses devoirs envers son mari, mais par son passé tout entier. Allait-elle donc, dans quelques heures, payer par l’ingratitude et la trahison le dévouement et la générosité de Maxime? Les terribles paroles que Gabrielle lui avait dites autrefois retentissaient à ses oreilles. Elle ne se souvenait que trop de l’arrêt qu’avait porté la jeune femme. Succomberait-elle donc? Indignée contre elle-même, rougissant de donner raison à sa rivale, elle appelait toutes ses forces à son aide, et en quelque sorte les