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rence, dans une situation d’esprit pleine d’incertitude et d’anxiété. Il en est du premier aveu que se font les amans comme d’un éclair dans une nuit sombre. L’obscurité qui le suit est plus grande. S’étaient-ils donc avoué qu’ils s’aimaient ? Il eût fallu que, pour la seconde fois, une émotion partagée leur en donnât la certitude. Or on ne provoque pas à volonté ces heures d’épanchement où le cœur se livre. Certaines périodes de gêne et de timidité les précèdent. Une après-midi cependant, Victor et Laurence, que Gabrielle venait de quitter, étaient assis sur un banc de mousse, à l’ombre de grands arbres. Ces chaudes heures du jour amènent avec elles la langueur et le mystère. L’ardente lumière du soleil, tamisée par le feuillage, ne répandait qu’une clarté voilée. C’est à peine si l’on entendait le bourdonnement de quelque insecte ou le chant distrait d’un oiseau. Laurence brodait, et Victor, placé à ses côtés, se penchait sur son ouvrage.

Que se passait-il en eux ? Ils étaient en proie à de tumultueuses pensées, leurs relations de loyale amitié s’étaient si rapidement transformées en un sentiment plus vif, mal défini encore, dont ils n’osaient prévoir les suites, à l’existence duquel ils étaient pourtant pressés de croire ! Ne devaient-ils pas en effet puiser dans leur amour, — si c’était de l’amour qu’ils avaient l’un pour l’autre, — la force qui leur manquait de ne point s’inquiéter de l’avenir et de ne songer qu’au présent ? Toutefois ils ne se parlaient pas et n’accusaient que par d’involontaires mouvemens, par leur silence même, le trouble profond de leurs âmes. Depuis quelques instans, le regard de Victor s’attachait à Laurence. Elle le sentait peser sur elle ; mais, tremblant de le rencontrer, elle s’inclinait davantage sur sa broderie.

— Ah ! je m’étais trompé l’autre soir ! s’écria tout à coup Victor avec sa brusquerie naïve. Je comprends aujourd’hui que vous ne sauriez m’aimer.

Laurence, les yeux toujours baissés, ne répondit pas. Victor essaya de lui prendre la main. Elle la retira. — Vous voyez bien, s’écria-t-il.

Certes, quelques minutes auparavant, Victor n’était pas persuadé qu’il aimât Laurence ; mais on ne joue pas impunément la comédie de l’amour. La défiance où il était de lui-même, le refus de Laurence, son geste subit, lui causèrent une des plus pénibles impressions qu’il eût jamais ressenties. Il se tut, et tout son visage s’altéra. Laurence releva la tête et ne supporta point l’idée de le laisser ainsi s’abattre. Les femmes ont une extrême générosité de cœur pour ceux qu’elles sont près d’aimer. Elle lui tendit la main : — Prenez-la donc, puisque vous la voulez, dit-elle. Puis, trop faible pour affron-