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d’abord à mon cœur, car tu avais deviné avant moi que j’aimais Maxime; puis tu me prêchais le mariage comme le parti le plus convenable à prendre dans la vie d’une femme. Tu avoueras que, si tes argumens étaient décisifs, ils n’étaient nullement encourageans et tout à fait dénués de poésie. Aussi, une fois mariée, j’ai eu peur, et j’aurais voulu ne rien savoir de tout ce que tu m’avais dit. Quelque éloge que tu m’eusses fait de M. d’Hérelles, j’étais malgré moi à l’affût de l’inévitable et triste transformation qui, selon ce que tu m’avais annoncé, devait s’opérer en lui. Tu jugeras donc de ma surprise et de ma joie quand je ne vis se produire rien de semblable. Si la destinée des époux est, comme le disent les poètes, de descendre ensemble le fleuve de la vie, j’ai vogué sous un beau ciel à travers des sites enchanteurs et toujours nouveaux. Je n’ai point même ressenti au départ, — tu es femme, et tu me comprendras, — cette émotion mêlée d’étonnement et d’hésitation que subissent souvent les jeunes filles et qu’elles ont besoin d’oublier plus tard. J’étais tellement en plein courant de bonheur que je ne m’imaginais point avoir quitté la rive, et si l’image de ma pauvre mère ne me fût restée, j’aurais perdu tout souvenir de mes années de misère. Dès les premiers temps de mon mariage, il m’a semblé que j’avais toujours passé mes étés aux Chênes, mes hivers à Paris, et que j’avais toujours eu les beaux chevaux qui me mènent au bois. Parfois, il est vrai, au milieu d’une fête, je cherchais doucement mon mari du regard. Ce n’était point de ma part une reconnaissance banale qui s’attachât à le payer ainsi des prévenances qu’il avait pour moi, du luxe dont il m’entourait. Je songeais trop qu’il m’avait non-seulement donné son cœur, mais développé mon intelligence, qu’il m’avait initiée à toutes les élégances, et que je lui devais d’être la femme brillante et distinguée à laquelle s’adressaient tant d’hommages. Chose étrange, j’étais presque jalouse de lui. Je me disais que, puisque je l’aimais, d’autres pouvaient l’aimer aussi. En outre, j’avais pour lui je ne sais quelle crainte et quel respect. C’est que Maxime est vraiment un homme supérieur. Quand on est jeune fille et quelque peu jolie, on a volontiers de soi une très haute opinion. A force d’en imposer à quelques jeunes gens timides et d’écouter les faciles complimens des vieillards, on s’exagère le pouvoir de ses charmes, de son caquetage; mais plus tard, si l’on aime son mari et surtout si ce mari est un homme remarquable, la vie change complètement d’aspect. On comprend combien il est difficile de se mettre à la hauteur de cette affection que les grâces de la jeunesse vous ont si promptement acquise. Spirituelle peut-être et bien douée, mais à demi instruite et inexpérimentée, on est bien loin de cet homme qui sait tout de la vie, qui en a sondé tous les