Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 50.djvu/948

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ne triomphe qu’en se soumettant à son sort et par le sacrifice d’elle-même. A cette condition, le mariage offre dans la pratique de la vie des compensations relatives. On s’y sent honorée et respectée, et l’on y éprouve quelque chose de cette tranquille satisfaction du marin qui contemple, du port où il s’est réfugié, les tempêtes de l’Océan. Ceci établi, que le mariage est un état sérieux, tout à fait étranger après un temps plus ou moins long, s’il ne l’a pas toujours été, au tumulte et aux enivrements de la passion, est-il nécessaire d’épouser un homme jeune? Oui certes, mais là encore il faut distinguer. La jeunesse de caractère et de goûts vaut autant, si elle ne vaut plus, que la jeunesse des années. Tel homme est vieux à trente ans ; tel autre est jeune à cinquante.

Là, tu devines que je fais un peu le procès à mon mari et le panégyrique de M. d’Hérelles. Je ne puis nier que je ne sois heureuse — dans l’acception consacrée du mot — avec Flavien, mais j’ai parfaitement noté ses transformations successives depuis le premier jour de notre mariage jusqu’à celui-ci. Un mari qui est à peu près de notre âge nous traite trop souvent en égales. Nous avons notre jeunesse, mais il a la sienne, et le sait bien. Certain de donner autant qu’il reçoit, il se contente par degrés d’un facile bonheur dont les plaisirs, s’ils ne sont pas très vifs, ne lui coûtent du moins pas de peine. Son égoïsme, sa confiance en lui, une certaine tendance à la domination, s’accommodent on ne peut mieux de ce repos calculé auquel il nous condamne avec d’autant moins de scrupule qu’il lui devient plus cher. Il y oublie trop que l’horizon du mariage est le seul qu’une jeune femme connaisse de la vie, et que cet horizon, à force d’être uniforme, peut lui paraître borné. M. d’Hérelles, pour en venir à lui, a le grand avantage de ne pas s’être marié. Il n’est plus jeune, c’est vrai, mais il n’a pas vieilli. Il a la taille svelte, l’esprit vif, la parole aimable, les manières séduisantes. Il a toujours eu besoin de plaire aux femmes et ne s’endormira jamais dans les délices de Capoue... Tiens, je ris, Laurence, mais je suis au fond sérieuse et attendrie. J’aime M. d’Hérelles pour la proposition qu’il te fait, j’aime ce noble cœur qui va d’un coup au-devant de ton isolement et qui t’offre sans hésitation deux biens inestimables, la fortune et le nom d’un honnête homme. Ne le repousse donc pas. Je me suis adressée tour à tour, tu le vois, à ton cœur et à ta raison: mais n’ai-je pas pris une peine inutile, et ne suis-je pas comme ces avocats qui s’escriment devant leurs juges pour plaider une cause gagnée d’avance? Si cela est, Laurence, dis-le-moi, dis-le-moi bien vite.