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plutôt il reconduit avec une bonne grâce impérieuse, en maître qui, sans s’irriter, sait se défendre contre les importuns. «Que fais-tu donc ici, imagination? Va-t’en, au nom des dieux! Je ne me fâche point contre toi; seulement va-t’en. » Il veut vivre en présence et sous les yeux de sa raison, qui est une partie de Dieu. « Comprends enfin qu’il y a en toi-même quelque chose d’excellent et de divin, et qu’il faut vivre dans l’intime familiarité de celui qui a au dedans de nous son temple. » Ainsi, dans cet examen de conscience, où l’amour des idées morales va quelquefois jusqu’à l’attendrissement, rien n’est pourtant livré aux aventures de l’imagination ni aux subtilités du sentiment. En se retirant en lui-même, Marc-Aurèle se rapproche de cette lumière que Dieu fait briller dans tous les hommes, et dans l’éloignement du monde et le silence des passions il veut contempler les lois de la raison pour les mieux aimer, pour leur mieux obéir.

Mais quelles joies dans cette solitude intérieure, et comme il s’exhorte à goûter cette paix que procure la parfaite ordonnance de l’âme! « On se cherche, dit-il, des retraites, chaumières rustiques, rivages des mers, montagnes... Retire-toi plutôt en toi-même, nulle part tu ne seras plus tranquille. » Comme il se tient en garde contre les troubles, les dégoûts, le découragement, les tentations, pour se donner tout entier à la contemplation des vertus dont il voudrait faire la règle de sa vie ! « Si tu trouves dans la vie quelque chose de meilleur que la justice et la vérité, tourne-toi de ce côté de toute la puissance de ton âme;... mais, si tu ne vois rien de préférable, choisis, te dis-je, comme un homme libre, ce bien suprême. » Jamais Marc-Aurèle, malgré les délicatesses de ce qu’on pourrait appeler sa spiritualité, ne parle de ces petites vertus raffinées que les âmes qui travaillent trop sur elles-mêmes finissent par imaginer. La magnanimité, la liberté, le calme, la sainteté de la vie, voilà les objets de ses désirs. La douce impatience de ces désirs donne quelquefois un certain pathétique aux apostrophes qu’il s’adresse à lui-même : « O mon âme, quand seras-tu bonne et simple? » Quelquefois il se supplie lui-même de se donner au plus tôt des vertus qui le ravissent. « Embellis-toi de simplicité, de pudeur, d’indifférence pour tout ce qui n’est ni vice ni vertu. » Il lui arrive même de s’accabler en pensant tout à coup que son terme est proche et qu’il n’est pas encore détaché de toutes ses passions, comme s’il avait horreur de mourir dans une sorte d’impénitence finale : « Couvre-toi d’ignominie, ô mon âme, couvre-toi d’ignominie! tu n’auras plus le temps de t’honorer. » On peut trouver dans l’antiquité des pensées plus nouvelles, mais rien n’est plus nouveau que ces tendresses morales, ces pudeurs de l’âme et ces accens ingénus avec virilité