Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 50.djvu/836

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

23 juin 1658 avait interdit « à tous gentilshommes et autres de faire aucune assemblée, sous peine de vie, sans permission du roi. » On apprit cependant, l’année suivante, que des nobles de la Normandie et de plusieurs provinces se réunissaient secrètement. Pendant plusieurs mois, la correspondance de Colbert et de Mazarin roula sur « cette révolte des gentilshommes. » L’un des plus compromis était un marquis de Bonnesson, zélé huguenot, dont Colbert faisait activement épier les démarches. « J’ai travaillé jusqu’à minuit à donner des ordres et à prendre les mesures justes pour arrêter Bonnesson, écrivait-il au cardinal le 1er septembre 1659. En signant cette dépêche à cinq heures du matin, l’on me donne avis qu’il vient d’être arrêté avec Laubarderie et Lézanville... Je ressens beaucoup de joie d’avoir réussi en cela par la satisfaction que votre éminence en aura. » Le marquis de Bonnesson avait dit, quand on se saisit de lui, que son emprisonnement « étoit l’affaire de la noblesse et qu’on en entendroit parler. » Quelques grands personnages, les comtes d’Harcourt, de Matignon et de Saint-Aignan, furent soupçonnés; mais, pour ne pas donner à l’affaire trop de gravité, on résolut de ne pas les impliquer dans les poursuites. Cependant beaucoup d’accusés étaient parvenus à sortir du royaume. Traduits exceptionnellement devant le grand-conseil, composé de maîtres des requêtes de l’hôtel, espèce de commission dévouée au ministre, ils furent condamnés à mort et exécutés en effigie à la Croix-du-Trahoir. En même tems, et c’était là le point essentiel pour la cour, on fit raser sans délai leurs châteaux et leurs bois, bien qu’aux termes des lois en vigueur, il eût fallu attendre cinq ans à partir du jour de leur condamnation; mais l’occasion était bonne pour écraser la queue de la fronde, et Colbert, en l’absence de Mazarin, ne la laissa pas échapper.

Restaient le marquis de Bonnesson et quelques autres. Après avoir fait traîner l’affaire en longueur et porté ses prétentions, disent les correspondances officielles, jusqu’à demander un avocat, Bonnesson fut condamné à mort et exécuté le 13 décembre 1659. « Il a été assez fier en mourant, écrivit à Le Tellier le président de la commission, et n’a jamais voulu se convertir. C’est une affaire faite, qui auroit pu déjà finir il y a quelques jours; mais messieurs du grand-conseil ont gardé toutes les formalités imaginables, lesquelles enfin ne doivent point être condamnées, puisque l’événement fait si bien paroître l’intention droite des juges. » Notons que ceux-ci avaient été menacés, s’ils ne voulaient pas en finir, d’être obligés de suivre la cour à Fontainebleau[1]. De son côté. Gui Patin écrivit : « Le

  1. J’ai publié de nombreuses lettres sur cette affaire, peu connue jusqu’à ce jour, dans le premier volume des Lettres de Colbert, texte et appendice, année 1659; introduction, LXXXI.