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taient à toutes les injonctions. « Peut-être, écrivait le chancelier Pontchartrain à M. de Harlay, jugerez-vous à propos de donner un arrêt qui oblige les mendians invalides du dehors à se retirer. Peut-être croirez-vous encore qu’il faut apporter quelques autres précautions pour l’exécution sûre d’un si bon dessein. » Quelques mois après, il fallut recourir à un arrêt pour « purger Paris des pauvres du dehors; » mais on ne put l’exécuter. De Harlay ayant cru devoir recourir à la ressource extrême des ateliers publics, Pontchartrain, dont le rôle se bornait à tout approuver, lui écrivit (22 janvier 1694) : « Les ateliers publics sont sans doute un des plus efficaces moyens pour ôter la fainéantise et la mendicité. Tout ce que vous ferez là-dessus ne vous sera qu’honorable et utile au public. » Cependant les pauvres de la campagne s’obstinaient à rester dans Paris malgré le gouvernement. Les rigueurs de l’hiver, jointes à la cherté du blé, en avaient encore accru le nombre. Le 30 mars, La Reynie transmit à M. de Harlay (car Pontchartrain, découragé, s’effaçait de plus en plus) un état par quartiers du nombre de ces malheureux : le chiffre total s’élevait à 3,376, y compris les femmes et les enfans. Les détails fournis par le lieutenant-général de police montrent avec quel soin se faisaient déjà les recherches statistiques. La Reynie assurait que les visites pour connaître le nombre des pauvres du dehors répandus dans les rues et dans les églises de Paris avaient été opérées aussi exactement qu’une chose de cette nature le pouvait être, qu’il avait pris à cet égard beaucoup de précautions, et qu’une instruction ample et détaillée avait été donnée par écrit à ses agens plusieurs jours avant l’exécution. Il ajoutait que, s’il ne s’était pas trouvé plus de pauvres de la campagne, c’est qu’il en était mort une partie, que les hôpitaux en renfermaient un certain nombre, et que d’autres n’avaient pas attendu les perquisitions. Enfin, après deux années d’angoisses, les craintes de disette s’étant apaisées, les mendians forains reprirent la route des villages d’où la faim les avait chassés, et Paris n’eut plus à nourrir que les siens. C’était bien assez pour les ressources dont la charité publique pouvait disposer.


III.

La question des subsistances joue un grand et triste rôle dans l’histoire de l’ancienne monarchie. Aux époques les plus florissantes et pendant les règnes les plus illustres, la famine apparaît avec son cortège hideux de populations hâves, désolées, frappées à mort. Le règne de Louis XIV n’échappa point à ces misères, causées par les troubles civils ou la guerre, aggravées par la difficulté des communications, et surtout, en ce qui concernait l’exportation et le com-