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L’ordonnance criminelle de 1670 portait que les prisons seraient disposées de telle sorte que la santé des prisonniers n’en pourrait souffrir : en fait, rien de plus contraire à la vérité. Un tableau des prisons de Paris tracé par un magistrat du XVIIIe siècle est douloureusement instructif sur ce point. Entassés dans des antres humides, privés d’air et de lumière, les détenus se communiquaient inévitablement les maladies dont ils étaient infectés. Au For-l’Evêque, le préau affecté à la promenade de quatre ou cinq cents prisonniers était dominé par des bâtimens très élevés; les prisonniers sans ressources étaient jetés dans des trous obscurs, sous les marches de l’escalier ou dans des cachots, au niveau de la rivière. Si tel était l’état des prisons de Paris au XVIIIe siècle, que devait-il être au XVIIe ! De nombreuses lettres de Colbert attestent que, de son temps, le gouvernement laissait l’entretien des prisons aux communes, qui, de leur côté, prétendaient s’exonérer de cette charge. Quant à la surveillance intérieure de celles de la capitale, un document contemporain constate que, pendant la fronde, le lieutenant civil étant uniquement occupé de ses fonctions politiques et de chercher des partisans au roi, les geôliers laissaient sortir, pour de l’argent, les prisonniers confiés à leur garde. Lorsque l’ordre eut repris le dessus, ces irrégularités cessèrent, et l’on voit en 1690 des commissaires du Châtelet chargés de la visite des prisons; toutefois celles qui renfermaient les prisonniers d’état et les individus détenus en vertu d’une lettre de cachet, comme la Bastille, le For-l’Évêque, Vincennes, Bicêtre et Charenton, leur étaient interdites. Les deux dernières étaient spécialement affectées aux fous ou à ceux qu’on voulait, en raison des faits mis à leur charge, faire passer pour tels; l’Hôpital-Général et le Refuge recevaient les prisonniers malades. Par intervalles, les directeurs des prisons d’état envoyaient des notes sur leurs prisonniers au ministre, qui maintenait la détention ou prononçait l’élargissement; mais un inconcevable désordre régnait dans cette partie de l’administration. Au mois de mai 1688, Seignelay prévint La Reynie que le roi désirait savoir la cause de la détention d’un sieur Gérard, prêtre, et du nommé Pierre Rolland, enfermés à la Bastille, le premier depuis huit ans, le second depuis trois ans. « Je ne trouve point ce dernier, ajoutait-il, sur les rôles que M. de Besmaux (le gouverneur de la Bastille) donne tous les mois pour être payé de la nourriture; il faut qu’il y soit sous quelque autre nom. A l’égard de Gérard, il marque dans quelques mémoires, qu’il m’a ci-devant donnés, qu’il est retenu pour l’affaire du poison[1]. » Seignelay terminait en demandant un

  1. L’affaire de la Voisin, jugée en 1682.