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propriétaire a passé les années laborieuses de sa vie. L’aisance est générale dans cette heureuse vallée. Un savant genevois, assistant à l’office divin dans le temple de Bevers, s’étonne de ne point entendre prononcer la prière pour les pauvres qui termine la liturgie i protestante : l’office s’achève, et l’on ne fait pas de quête ; il s’informe et apprend qu’il n’y a point de pauvres en Engadine ; il est donc inutile de prier et de quêter pour eux.

Parlant toutes les langues de l’Europe, les habitans de l’Engadine ne sont point restés étrangers au mouvement intellectuel du siècle, et ces industriels, ces commerçans, désormais retirés des affaires, ont sollicité l’honneur de recevoir en 1863, au milieu d’eux, la Société helvétique des sciences naturelles. Ils ont compris que les lettres, les sciences et les arts sont la vraie gloire de l’humanité, la seule dont l’avenir avouera l’héritage ; ils ont voulu s’honorer eux-mêmes en offrant l’hospitalité à de modestes savans accourus de la Suisse, de l’Italie et de l’Allemagne, pour se communiquer réciproquement le résultat de leurs travaux dans le domaine des sciences physiques et naturelles.

L’origine de la Société helvétique remonte à 1815. Genève, rendue à la liberté, venait d’entrer dans la confédération. Des sociétés locales existaient déjà dans les cantons ; un médecin genevois, Gosse, correspondant de l’Académie des sciences de Paris, conçut la pensée d’une association qui réunirait tous les naturalistes de la Suisse. Il leur adresse l’invitation de se trouver le A octobre à Genève ; trente-cinq personnes seulement répondent à son appel. Il ne se décourage pas. Les premières conférences eurent lieu dans le salon de la Société de physique et d’histoire naturelle, où les bases des statuts de l’association furent définitivement arrêtées ; mais le 6 octobre Gosse convoque les naturalistes à sa maison de campagne, située sur le territoire savoisien, derrière la montagne du Petit-Salève, près du village de Mornex. Au haut d’un monticule semé de blocs erratiques descendus du Mont-Blanc, en face de ce colosse de la chaîne des Alpes et en vue du lac Léman, sont les ruines d’un ancien château féodal. Sur ces ruines s’élève un pavillon dont le toit est soutenu par huit colonnes. Le buste de Linné est au milieu de la rotonde ; ceux des grands naturalistes de la Suisse, Haller, Bonnet, Rousseau et de Saussure, sont rangés autour de lui. Gosse, homme d’initiative et d’enthousiasme, adresse à ses concitoyens le discours suivant ; je le transcris tout entier, c’est un curieux spécimen du style et des idées de l’époque. « Sublime intelligence qui as été, qui es et qui seras ! cause première de tout ce qui existe, toi qui t’occupes sans cesse du bonheur de toutes tes créatures, daigne recevoir mes hommages et ma profonde reconnaissance