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sait prouvent que l’audace toujours croissante des pamphlétaires avait fini par inquiéter le gouvernement. Si encore la politique seule eût été matière à libelles! mais les questions purement religieuses faisaient éclore une multitude de publications non moins vives, et les prêtres eux-mêmes n’étaient pas les moins ardens à la controverse. Le 21 avril 1683, Louis XIV autorisa La Reynie à juger « plusieurs ecclésiastiques et libraires qui se mêloient de composer divers écrits et libelles diffamatoires contenant des maximes contraires au bien du service, au repos des sujets du roi, et attaquant l’honneur et la réputation de diverses personnes constituées en dignité. » Nous savons par une lettre de Seignelay que deux des prévenus (l’un d’eux était aumônier de l’Hôtel-Dieu de Saint-Denis) furent condamnés aux galères. Une autre lettre de La Reynie à Louvois au sujet de Bayle prouve que, chez le lieutenant de police, la passion politique n’étouffait pas les goûts littéraires. Le gouvernement avait cru devoir empêcher la distribution de quelques opuscules du hardi penseur. En prévenant Louvois des mesures prises à cet égard, La Reynie ajoutait : «Sa lettre sur les comètes, sa critique de Calvin même et les Nouvelles de la république des lettres peuvent bien faire juger de son habileté; mais la finesse et la délicatesse de ces mêmes écrits ne les rendent pas moins suspects, et, bien qu’il se soit beaucoup contraint dans son journal pour le faire recevoir en France, il n’a pu cependant si bien cacher sa mauvaise volonté et son dessein que M. le chancelier ne s’en soit aperçu. » Par malheur, les condamnations aux galères, châtiment déjà bien sévère, n’étaient pas toujours jugées suffisantes. Plus d’une fois le bûcher et la potence punirent des crimes qui, si détestables qu’ils pussent être, ne méritaient pas du moins cette atroce pénalité. Un avocat du temps, Antoine Bruneau, a consigné dans un journal dont de rares fragmens sont parvenus jusqu’à nous quelques-unes de ces condamnations capitales. C’était sans doute, par une exception rare dans sa profession, un esprit très peu libéral et très inhumain; la satisfaction naïve avec laquelle il enregistre ces rigueurs mérite néanmoins d’être notée; c’est un renseignement dont il faut tenir compte et comme un jour ouvert sur l’opinion des contemporains.


« Novembre 1694. — Le vendredi 19, sur les six heures du soir, par sentence de M. de La Reynie, lieutenant de police, au souverain, furent pendus à la Grève un compagnon imprimeur de chez la veuve Charmot, rue de la Vieille-Boucherie, nommé Rambault, de Lyon, et un garçon relieur de chez Bourdon, bedeau de la communauté des libraires, nommé Larcher, deux condamnés à être conduits aux galères, et sursis au jugement de cinq jusqu’après l’exécution, les deux pendus ayant eu la question ordinaire et extraordinaire pour avoir révélation des auteurs, pour avoir im-