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REVUE. — CHRONIQUE.

et il a été surtout provoqué par l’exemple remarquable de certaines généralisations scientifiques. On a vu des phénomènes très différens ramenés à une même cause, le magnétisme à l’électricité, la chaleur à la lumière, et tous ces phénomènes au mouvement. On en a conclu qu’il pourrait bien en être ainsi de la pensée. Telle est la vraie cause scientifique du matérialisme actuel. L’économie politique n’a rien à y voir. On peut même dire au contraire que cette science s’est de plus en plus rapprochée du spiritualisme, car, en montrant que la richesse a pour principale cause le travail humain, et que le travail c’est la volonté humaine, l’intelligence, l’âme enfin, on spiritualisait la richesse. Qu’y a-t-il d’étonnant alors que l’intelligence elle-même dans un ordre plus élevé et dans ses propres œuvres puisse être une source de richesse ? Et qui pourrait contester que le peintre qui fait payer son tableau, l’artiste son chant, le médecin ses visites, ne possèdent vraiment un capital, et ne soient dans toute la force du terme de véritables producteurs ? Attacher tant d’importance aux mots, quand on est obligé de reconnaître les choses, ne me paraît pas un scrupule vraiment scientifique ; mais, cette réserve faite, on fit avec plaisir l’introduction de M. Gouraud, où l’élévation de la pensée est en harmonie avec l’esprit de l’excellent et généreux ouvrage auprès duquel il nous introduit.

Paul Janet, de l’Institut.


LA PRÉDICATION FRANÇAISE AVANT BOSSUET[1].


Il ne faudrait pas se laisser tromper par le titre donné au livre de M. Jacquinet sur les Prédicateurs au dix-septième siècle avant Bossuet, ni par la thèse que ce titre semble annoncer. Il y a là tout d’abord un nuage qu’il importe de dissiper, et dont il reste d’ailleurs fort peu de chose après la lecture ; ce peu est cependant à noter et à peser, parce qu’il pourrait subsister comme prétexte d’une objection générale contre tout l’ouvrage. La thèse qui paraîtrait au premier abord impliquée dans le titre serait celle-ci : qu’une réforme de la prédication chrétienne s’étant manifestée au commencement du XVIIe siècle, avec un affranchissement progressif des défauts inhérens à la chaire pendant le siècle précédent, un progrès continu a élevé ce genre d’éloquence jusqu’à une région dont l’atmosphère purifiée aurait été préparée pour un Bossuet. Pour deux raisons, M. Jacquinet s’est gardé d’instituer dans toute sa rigueur une pareille thèse. D’abord son admiration raisonnée place trop soigneusement Bossuet hors de pair en présence des orateurs de la chaire chrétienne ses contemporains pour admettre que ses prédécesseurs immédiats, par exemple, se soient trouvés, en vertu d’un progrès commun, élevés sur des hauteurs qui fussent presque de plain-pied avec les siennes. En second lieu, M. Jacquinet n’a pas non plus entrepris de démontrer que toute la partie du XVIIe siècle qui a précédé Bossuet ait été absolument nécessaire pour déblayer le terrain, bannir les locutions vicieuses, préparer les esprits et le goût, car il nous fait voir au contraire dans la prédication des pères de l’Oratoire, particulièrement dans celle de Pierre de Bérulle, une école déjà excellente,

  1. Des Prédicateurs au dix-septième siècle avant Bossuet, par M. Jacquinet, I vol. in-8o, Didier, 1863.