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ment : sa vanité d’ailleurs et son peu de perspicacité concouraient à le rassurer.

Les victoires n’étaient pas le seul moyen auquel eut recours l’ambition de César : il avait soumis la Gaule, il fallait acheter Rome. Vers ce temps, il fit deux acquisitions : l’une peu importante, celle du consul Æmilius Paullus, frère de Lépide le triumvir, dont il paya cependant sept millions et demi de francs la neutralité équivoque, et qui ne gagna même pas l’argent que César lui donnait ; l’autre, très considérable, celle de l’éloquent tribun Curion, qui avait été jusque-là le plus hardi champion du sénat, et qui se vendit : triste exemple de ces défections qui affligent d’autant plus qu’elles forcent à mépriser le talent ! Curion coûta à César deux millions selon Velleius Paterculus, douze millions suivant Valère-Maxime. Ce double marché fut profitable à la splendeur monumentale de Rome ; Curion et Paullas employèrent une partie de ce bien mal acquis à l’orner : l’un fut l’auteur de ce double théâtre sur pivot dont les deux parties rapprochées formèrent le premier amphithéâtre romain ; l’autre construisit, derrière les boutiques du Forum, une basilique qui, du nom d’Æmilius Paullus, s’appela la basilique Æmilia : deux moyens de gagner le peuple ; dans ce temps-là, quand on se vendait, c’était pour l’acheter. Les deux théâtres étaient en bois, et on n’en parla plus après Curion ; mais la basilique Emilia, avec ses colonnes de marbre phrygien (pavonazzetto) qu’on a cru retrouver dans celle de Saint-Paul, excitait encore l’admiration de Pline. Æmilius Paullus s’était ruiné pour l’élever, il se vendit pour la continuer. La basilique Æmilia portait aussi le nom de basilique de Paullus. Il est triste d’être immortalisé par un souvenir de corruption quand on s’appelle comme Paul-Émile. Malgré les quinze cents talens reçus de César, Paullus ne put achever ce monument de sa honte : la guerre civile vint tout interrompre. Ayant abandonné le parti de César, comme il avait abandonné le parti de Pompée, il se brouilla avec son frère, qui le fit placer sur la liste des proscrits ; il parvint à s’échapper et mourut obscurément dans l’exil. Son fils adoptif dédia la basilique Æmilia après sa mort.

On n’aime pas à rencontrer Cicéron dans l’histoire d’Æmilius Paullus et de sa basilique, lui qui avait gémi sur la défection d’Æmilius et de Curion. Cicéron, — dans une lettre à Atticus où il s’appelle l’ami de César, « quand tu devrais en crever de rire, » a-t-il soin d’ajouter, — parle, à propos de ce monument qu’il appelle très glorieux, des soins que lui-même a pris pour acheter le terrain destiné au forum de César. Je préférerais ne pas le voir occupé à obliger celui dont il devait applaudir les meurtriers ; mais c’est, je crois, à tort qu’on lui a reproché d’avoir manié ces fonds