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un furieux dans la curie : il fut entouré, et, doublement odieux aux sénateurs depuis qu’il prenait le parti de Pompée, il aurait pu avoir le sort de Romulus ; mais la populace vint à son aide avec des cris et des torches, l’enleva du sein de la curie et le ramena au Forum en triomphe.

Par suite du rapprochement de Pompée et de Clodius, la haine de celui-ci et de Milon avait paru dormir ; elle se réveilla au moment où tous deux se trouvèrent candidats, l’un à la préture et l’autre au consulat. Milon, qui était le plus riche, donnait des jeux et gardait ses gladiateurs ; Clodius faisait venir de ses possessions d’Étrurie des esclaves pour les armer. Les bandes de celui qui aspirait à être le chef de la justice et de celui qui prétendait à gouverner l’état se rencontraient chaque jour et chaque jour en venaient aux mains. Les consuls ne pouvaient instituer les comices ; eux-mêmes se mêlaient à ces bagarres, où l’un d’eux fut blessé.

Pompée, on le sait, aurait bien désiré qu’on lui offrît la dictature, pour pouvoir renverser la constitution sans paraître la violer. Il s’éloigna des murs de Rome pendant que deux tribuns, ses instrumens, proposaient qu’on le nommât dictateur, voulant paraître étranger à cette manœuvre. C’était encore une imitation de Sylla ; mais Caton parut à la tribune et souleva l’indignation du peuple, qui menaça de déposer les tribuns. L’année précédente, un tribun, pour avoir appelé Pompée dictateur, avait failli être tué dans le Forum. Caton consentit à ce que Pompée fût seul consul. Grâce à sa coupable politique, qui consistait à empêcher sous main les élections des magistrats, pour que l’anarchie conduisît à la dictature, Rome n’avait eu pendant plusieurs mois ni consuls ni préteur. Milon et Clodius se faisaient librement la guerre dans le Forum et dans les rues. Personne ne dut être fort étonné quand on apprit qu’un de ces deux chefs de partisans avait été frappé par l’autre, et Cicéron moins que personne, car il avait écrit à Atticus : « Si Milon rencontre Clodius, il le tuera. »

Clodius était allé à Aricia pour je ne sais quelle affaire. Le lendemain, il s’était arrêté dans sa villa, voisine du mont Albain, où il devait coucher. La nouvelle de la mort de son architecte le fit partir assez tard. À peine avait-il commencé à suivre la voie Appienne, qu’il se croisa près de Bovile avec Milon. Celui-ci se rendait à Lanuvium, d’où il était originaire, pour y installer dans sa charge un prêtre de la déesse du lieu, Junon Sospita. Je crois que les deux ennemis ne s’attendaient pas à se rencontrer. Milon était en voiture avec sa femme, escorté par ses esclaves, parmi lesquels se trouvaient deux gladiateurs renommés. Dans la situation où il était vis-à-vis de Clodius, cette escorte n’avait rien d’extraordi-