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L’enthousiasme dut être bien vif pour forcer le sénat à décréter quinze jours d’actions de grâces, ce qui était sans exemple. On n’en avait accordé que dix à Pompée après la guerre de Mithridate. Ce fut Cicéron qui demanda cette augmentation : le sénat n’osa pas la refuser ; mais son mauvais vouloir à l’égard de César ne tarda point à se montrer. Un tribun vint dans la curie proposer l’abrogation de la loi agraire de César, et en attaqua sans ménagement l’auteur. Il ne fut point interrompu. Le sénat écouta en silence ; ce silence était une approbation timide sans doute, mais c’était une approbation. Le tribun revint à la charge. Cette fois Cicéron fit un discours véhément, mais contre Clodius et non contre César. Tout à coup on entendit de la Grécostase, voisine de la curie, les cris que poussaient les gens de Clodius, et les sénateurs se retirèrent chez eux.

Pompée était allé à Lucques, où il avait trouvé César entouré de ce que Rome avait de plus considérable, et ayant déjà une cour avant d’être souverain. Ce spectacle ne le fit pas réfléchir au danger d’une alliance qui lui donnait un maître, et il revint à Rome, avec Crassus, servir sans le vouloir les plans de celui qu’il ne savait pas craindre, aveuglé par sa présomption. Il fut encore question dans la curie de l’abrogation de la loi de César, mais cette fois sans qu’on donnât suite à ce dessein. Les deux cents sénateurs qui étaient allés complimenter César à Lucques ne pouvaient lui faire une opposition bien vive. César fit rappeler à Cicéron par son frère Quintus, dont il avait fait son lieutenant, la condition qu’il avait mise au rappel de l’exil : le silence sur la loi de Campanie. Cicéron comprit le devoir que lui imposait la reconnaissance, comme il l’écrivit à Lentulus, et partit pour une de ses villas. Il reparut dans la curie pour appuyer toutes les demandes de César en hommes et en argent, ainsi que la seconde prolongation de son commandement, puis de nouveau s’absenta de Rome, où il ne se montra guère que pour assiste aux jeux donnés par Pompée.

Un nouvel étonnement vint saisir les Romains. César avait passé le Rhin pour aller chercher les Germains dans leurs forêts, qu’on croyait impénétrables. En dix jours, il avait construit un pont en bois de son invention sur le fleuve. Il avait fait plus, il avait franchi la mer et abordé le premier dans cette île de Bretagne qu’on disait, encore après lui, séparée du monde :

Et penitus toto divises orbe Britannos.


Cette double expédition dans une contrée inconnue qui communique maintenant avec Rome en quelques heures, mais qui semblait alors comme un autre univers, comme une Amérique lointaine à l’existence de laquelle quelques-uns ne croyaient point, cette ex-