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j’aime le plus au monde ; aussi il disait s’être surpassé dans le discours qu’il prononça pour que l’emplacement du moins lui en fût rendu. Elle était le symbole de son élévation ; en quittant les Carines, après son consulat, pour le Palatin, il avait passé du quartier de la finance dans le quartier patricien. Ce changement de demeure avait été comme le sceau de son anoblissement. Aussi Clodius trouvait-il que c’était une grande impertinence à un manant d’Arpinum de loger sur le Palatin. En effet, le Palatin, et surtout cette partie occidentale du Palatin, était habité par les plus grandes familles de Rome. Tout à côté de la maison de Cicéron s’élevaient celle de Catulus avec son portique triomphal orné des dépouilles des Cimbres et un toit en dôme, celle d’Æmilius Scaurus, de qui la magnificence était célèbre autant que la probité suspecte, et que Cicéron eut le tort de défendre. Celle-ci fut achetée par Clodius ; elle se trouvait derrière la maison de Cicéron, qui en fit l’occasion d’un mot : « j’élèverai mon toit non pour te regarder d’en haut (despiciam), mais pour que tu ne puisses voir (aspicias) cette vTille dont tu as voulu la ruine. » À côté de Clodius demeurait sa sœur Clodia, ce qui donnait lieu à Cicéron d’injurier son ennemi de plusieurs façons, tantôt lui reprochant trop de tendresse pour cette sœur que dans le discours pour Cœlius il peint comme une déboutée capable de tous les crimes, ayant des jardins aux bords du Tibre pour voir nager les jeunes Romains, et qu’il appelle la Médée du Palatin, tantôt accusant Clodius d’avoir élevé à travers le vestibule de Clodia un mur qui l’empêchait d’entrer chez elle.

La maison de Cicéron avait été occupée par l’orateur Crassus, un des devanciers de Cicéron dans l’éloquence, puis par Crassus le triumvir, avec Pompée et César un des trois plus grands personnages de Rome et le plus riche. Elle était ornée de colonnes de marbre grec, ce qui avait fait appeler l’orateur Crassus la Vénus du Palatin. C’était une fort belle maison, comme devait être celle de Crassus, dives le riche. Elle était sans doute tournée au midi, position alors, comme aujourd’hui, désirable à Rome pendant l’hiver ; l’été, Cicéron avait à choisir entre ses nombreuses villas. De ses fenêtres, il voyait le brillant quartier étrusque et le mouvement du port marchand sur le Tibre. De l’autre côté, il avait la vue du Forum et de la tribune ; aussi dit-il que sa maison est en vue de toute la ville, dont elle regarde la partie la plus importante et la plus fréquentée, et cette position de sa demeure lui fournissait des apostrophes éloquentes. Les fenêtres étaient étroites, ce que son architecte Cyrus soutenait être favorable à la perspective. Cicéron y logea un fils de roi, le fils d’Ariobarzane, roi d’Arménie, selon l’usage romain de mettre ainsi ces hôtes illustres dans la demeure des citoyens con-