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rent et l’emportèrent. Lui, rentrant par un autre côté, s’élança à la tribune, mais ne put se faire entendre. On voulut le chasser violemment du Forum ; cependant il en sortit le dernier, ferme et indomptable jusqu’au bout.

Pompée avait figuré dans la scène du Forum, dans cette scène tragique mêlée d’incidens burlesques, et il y avait joué, j’en demande pardon à sa grande ombre, le rôle du niais. Tout glorieux de paraître protéger César, dont il faisait les affaires sans s’en douter, il était venu se placer à côté de lui et déclarer qu’il approuvait la loi ; elle donnait des terres en Campanie à vingt mille de ses vétérans. — Et si l’on résiste à cette loi, lui demanda César, ne viendras-tu pas au secours du peuple ? — J’y viendrai avec l’épée et le bouclier, répondit Pompée : rodomontade séditieuse et maladroite. Peu de temps après. César s’attachait Pompée par un lien de plus en lui donnant sa fille Julia.

Cicéron s’était prudemment absenté de Rome pour n’avoir pas à combattre en face César et Pompée. On le voit à cette époque aller d’une de ses villas à l’autre, de Tusculum à Antium, d’Antium à Formies, de Formies à Arpinum. Ses villas étaient son refuge dans les momens critiques. Les séjours qu’il y a faits tiennent une grande place dans sa vie politique ; ils en marquent souvent les défaillances. Pour se consoler, il écrivait en grec l’histoire de son consulat, qu’il célébra aussi en latin. Atticus lui conseillait un ouvrage difficile comme le plus propre à distraire de lui-même son attention en l’absorbant, et le pauvre Cicéron essayait d’un traité de géographie mathématique ; mais ce travail ne l’intéressait pas autant que ses mémoires, dans lesquels il se proposait, pour se venger, de faire une histoire secrète de son temps pareille à celle de Théopompe, mais encore plus remplie d’amertume. Il déclarait ne plus vouloir songer aux affaires désespérées de l’état et se mourait du désir d’avoir des nouvelles de Rome, où il vivait constamment par la pensée, et d’où, à vrai dire, durant ses visites à ses villas, ce qui me donne le droit de l’y suivre, il n’était jamais sorti. « Quand je lis tes lettres, écrivait-il à Atticus, je crois être à Rome. » À Antium, Pompée lui avait fait en passant une visite, et lui avait renouvelé, au sujet de Clodius, ces promesses qu’il ne tenait jamais ; puis Cicéron revenait dans la curie, il trouvait César cherchant à le gagner par des offres qu’il était par momens tenté d’écouter, mais dont l’acceptation l’aurait compromis, et que le point d’honneur le forçait de repousser un peu à regret. Alors il s’écriait : « J’aime mieux combattre ! » Il remarquait qu’au théâtre on avait mollement applaudi César et saisi une allusion fâcheuse pour Pompée ; s’il se retournait vers Pompée, les irrésolutions de celui-ci augmentaient les siennes.