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tout le traité. De plus, une partie de la négociation devait rester secrète. Voici ce qu’on écrivait de Versailles à ce propos : « Si la France attaquait les Russes dans la Baltique, il pouvait en résulter une guerre entre elle et l’Angleterre; pour éviter ce grave danger, il valait mieux, dans l’intérêt de Gustave III lui-même, que l’escadre française fût employée dans l’Archipel contre les vaisseaux russes, qui infestaient depuis trois ans ces parages au détriment du commerce européen dans le Levant et au grand dommage de la Porte-Ottomane en particulier. Le grand-seigneur, encouragé par cette entreprise de la France, redoublerait d’efforts contre la Russie, et aiderait efficacement la Suède. Le ministère français proposait à Gustave III d’inscrire cette diversion dans un article secret; toute la convention serait en outre antidatée de six mois, afin de lui donner à l’égard de la Russie ou des autres cours un caractère moins agressif. » On a vainement cherché dans les archives diplomatiques l’instrument de ce traité; l’examen comparé des dépêches de M. de Vergennes et du comte de Creutz donne à penser qu’il n’a pas abouti. Je lis en effet dans la correspondance française : « 5 avril 1773. M. de Scheffer (qui dirigeait les affaires étrangères à Stockholm) croit qu’il serait prématuré de signer le traité définitif; il croit utile de ménager l’Angleterre, qui paraît bienveillante, et représente que des traités signés restent difficilement secrets. — 24 avril. Le roi de Suède, lié par l’article 6 de la constitution à ne faire aucun traité sans le communiquer au sénat, ne peut garantir le secret. » La vérité est que la conclusion de ce traité devint finalement inutile. La France fit de sérieuses promesses de secours en cas d’attaque contre la Suède; l’ordre fut envoyé à Toulon d’équiper douze vaisseaux de ligne et six frégates; la flotte de Brest dut aussi se tenir prête à partir. En même temps notre diplomatie intervenait partout pour empêcher toute entreprise contre Gustave III. L’Espagne, notre alliée, avait adopté sa cause et contribuait même aux subsides. M. de Martange fut envoyé en Angleterre, et, si ce diplomate n’obtint pas l’assentiment du cabinet de Londres à une expédition maritime dans la mer Baltique, les dissensions qui agitaient alors la Grande-Bretagne détournèrent du moins l’attention jalouse de ses hommes d’état. Entre une opposition conduite par le premier Pitt, Burke et Fox, et des ministres égoïstes comme lord North et ses collègues, tout était désordre chez les Anglais et tout passait inaperçu, sauf la haine contre la France, qu’on n’aurait pour rien au monde laissé remporter des victoires navales dans la Baltique. A Pétersbourg, notre chargé d’affaires, M. Durand, multiplia ses déclarations et ses notes; on contint le Danemark par des menaces formelles. M. de Saint-Priest surtout, depuis quatre ans ambassadeur à Constanti-