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Les soupçons de Gustave contre ses voisins ne purent qu’être augmentés par les lettres amères et menaçantes que Frédéric II et le prince Henri lui adressèrent ainsi qu’à Louise-Ulrique. Nous avons déjà cité plus d’une fois ici même ces lettres, qui sont maintenant bien connues. On se rappelle que Frédéric II et son frère y faisaient enfin connaître les stipulations secrètes par lesquelles, de concert avec la Russie et le Danemark, la Prusse avait garanti la constitution de 1720. Frédéric II y protestait de son désintéressement. « Ce n’était assurément pas ce petit morceau de la Poméranie, disait-il, bon tout au plus pour un cadet de famille, qu’il pouvait ambitionner ; mais le moyen de ne pas remplir ses saints engagemens et de souffrir une révolution grâce à laquelle, si la Suède conservait la paix pendant dix ans, elle deviendrait puissance prépondérante ! » On perçait le cœur de Frédéric II et celui du prince Henri en les mettant dans l’obligation de combattre un neveu qui leur était si cher, et la nature répugnait en eux à l’accomplissement de devoirs que leur loyauté rendait inévitables ! Double hypocrisie et double mensonge : outre les sentimens que lui inspirait sa politique, Frédéric II détestait personnellement Gustave ; il écrit maintes fois à son frère que les fils de sa sœur ne lui ont jamais plu, qu’il n’a jamais rien senti pour ces princes de Suède, et il n’est pas rare qu’il traite fort lestement dans sa correspondance Gustave III en particulier, jusqu’à s’emporter contre « ce monsieur Gustave, cette vipère envenimée, cette créature atroce. » Bien qu’il se contraignît dans ses premières réponses, le roi de Prusse y montrait un dépit qui ne laissait pas d’être fort redoutable ; une guerre pouvait renverser tout l’édifice qui venait d’être élevé, et creuser pour la Suède et pour son roi un profond abîme. Aussi M. de Vergennes exprimait-il tout d’abord à sa cour, avec l’indignation qu’il ressentait de la perfidie des puissances confédérées, l’inquiétude que lui inspiraient la faiblesse de la Suède et la nécessité où se trouverait la France de supporter à peu près tout le fardeau.


« Je crois, monsieur le duc, qu’il est sans exemple que des puissances se soient avisées de faire des transactions entre elles sur le compte d’un tiers sans en être requises et sans l’en prévenir. La Russie ni la Prusse n’ont aucun titre pour s’ingérer dans les affaires intérieures de la Suède ; leur prétendue garantie clandestine n’est donc qu’un attentat aux droits imprescriptibles d’une nation libre, et même une violation de la constitution dont on prétend être les gardiens et les garans. Les états de Suède, en faisant la constitution de 1720, ne se sont-ils pas réservé le droit d’y changer et d’y ajouter ce qu’ils croiraient convenable ? Et on leur fera la guerre parce qu’en 1772 ils trouvent bon de substituer à des lois versatiles, source intarissable d’abus, des lois fixes et nerveuses d’où doit dé-