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de Turin à Foggia[1] a rendu non-seulement la paix, mais la vie à tout le littoral de l’Adriatique.

Il ne faut pas se hâter cependant de crier victoire : le fléau décroît chaque jour, mais dure encore, et on ne peut malheureusement contester la nécessité de mesures exceptionnelles pour le combattre énergiquement. Ces rigueurs ont diminué toutefois sous le commandement du général La Marmora; l’on n’a plus fusillé, depuis son avènement, que les brigands pris les armes à la main, et le parlement italien, en exigeant la formation de conseils de guerre appelés à juger tous les prisonniers, a fort diminué le nombre des condamnations capitales[2]. Tout porte à croire que le système des jugemens militaires sera bientôt abandonné. C’est à la cause permanente du mal qu’il importe de s’attaquer, si l’on veut abréger la lutte, et pour atteindre ce but il faut autre chose qu’une vaillante armée et une répression vigoureuse; il faut une œuvre de civilisation et de moralisation que l’unité italienne est seule capable d’accomplir. La misère, l’ignorance, voilà ses véritables ennemis, et c’est à l’Italie seule qu’il appartient de les détruire. Pourquoi n’a-t-elle point réussi encore dans l’œuvre commencée? Essayons de l’expliquer.

Lorsqu’il s’établit à Naples, à la fin de 1860, le gouvernement italien se trouva fort embarrassé. Il succédait à une révolution inachevée qu’il devait à la fois arrêter et accomplir. Cette œuvre double, qu’il poursuivit longtemps à travers toute sorte de difficultés et de trop visibles perplexités, l’empêcha de trouver d’un côté ou de l’autre un appui solide, et souleva contre lui le parti de l’action et celui de la réaction. Ce n’est pas tout, et il y eut un motif plus sérieux de mécontentement chez les populations méridionales, qui virent bientôt une sorte de malentendu dans le plébiscite. Les Italiens et les Napolitains ne s’étaient pas compris. Les Napolitains avaient vu dans Garibaldi un sauveur qui venait les affranchir des Bourbons et leur apporter la liberté et le bien-être. Les Italiens suivaient une idée patriotique rêvée dès le moyen âge, dès l’anti-

  1. Victor-Emmanuel, qui est venu l’inaugurer solennellement, a pu traverser toutes les provinces les plus ravagées l’an dernier sans rencontrer un seul malfaiteur embusqué dans les bois pour l’attendre. Du Tronto jusqu’à Naples, le chemin parcouru par le cortège royal était peuplé comme une rue immense, et des groupes de paysans armés s’y montraient à chaque pas. Les ministres étrangers qui étaient du voyage regardaient avec surprise, et peut-être même avec un peu d’inquiétude, ces milliers de fusils qui auraient pu partir par mégarde ou en signe de joie et envoyer une grêle de balles dans la voiture du souverain. Il n’arriva rien de pareil, et d’un bout à l’autre de ce pays de brigands les multitudes armées s’écrièrent d’une seule voix, presque sans interruption : « Vive Victor-Emmanuel! vive l’Italie! »
  2. Le rapport de M. Massari compte 1,038 exécutions depuis l’explosion du brigandage.