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— Mensonge, mensonge! répétèrent les brahmanes et ceux qui les entouraient. C’est une ruse pour nous éloigner... Dévadatta, tu n’es qu’un traître!...

Les gens de Combaconam n’étaient pas venus de si loin pour renoncer à leur vengeance; quelques-uns mirent le feu aux premières cabanes du village, d’autres ramassèrent des pierres pour les lancer sur le père Joseph. Une grêle de cailloux siffla dans l’air, mais aucun ne porta; cette foule aveuglée par la passion dirigeait ses coups au hasard. Le père Joseph fit le signe de la croix.

— Il a fait un geste pour invoquer son Dieu, dirent quelques Hindous; mais nos divinités sont plus puissantes que la sienne! — Parlant ainsi, ils renouvelèrent leur attaque, et Dévadatta, atteint au front, tomba aux pieds du père Joseph, rougissant la terre de son sang.

À cette vue, les assaillans épouvantés prirent la fuite ; celui qui gisait sanglant devant eux était lui-même un brahmane, et pour venger la mort d’un animal sacré ils avaient frappé un deux fois né, une image vivante de la divinité! Ils abandonnèrent donc le champ de bataille, honteux et déconcertés comme des vaincus. Une terreur superstitieuse s’était emparée de ces Hindous à l’esprit mobile, plus sujets que les autres peuples aux paniques subites.

Dès que l’ennemi commença de battre en retraite, les chrétiens se hâtèrent de rentrer au village pour éteindre le feu qui consumait çà et là quelques chaumières. Penché sur le blessé, le père Joseph cherchait à étancher le sang qui coulait du front de celui-ci. Monique accourut vers le padre, et, voyant le jeune homme à terre et sans mouvement, elle appela quelques femmes qui l’aidèrent à l’emporter dans sa maison.

— Déodat, mon cher enfant, toi que j’ai bercé tout petit dans mes bras! disait-elle en versant des larmes...

Déodat rouvrit les yeux et prit les mains de la vieille Monique, qui, à force de laver le sang dont son front était couvert, en avait effacé les trois lignes symbole de l’idolâtrie. — Ma mère, dit-il d’une voix faible, vous m’aimez donc toujours?...

— Mon cher fils, dit le père Joseph en s’approchant de lui, il ne s’est pas passé un seul jour que ton nom n’ait été prononcé dans nos prières !.. . Mais garde le silence; ta blessure demande du repos et des soins.

Pendant une semaine, la vie de Déodat fut en danger. Monique, assise près de lui, le veillait avec une sollicitude maternelle, et souvent, lorsqu’il était endormi, Nanny, s’approchant doucement de la porte, venait demander des nouvelles de celui qu’elle n’osait plus nommer son frère. La jeune fille était devenue grande; mo-