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une transformation si radicale ? Les nombreux documens publiés par l’Association internationale nous permettent de raconter ce curieux épisode, sinon en détail, au moins dans ses phases principales.

Pendant les premières années qui suivirent les événemens de 1815, l’Europe entière était au pouvoir du parti qui se disait conservateur. Partout maîtresse, l’aristocratie gouvernait partout dans son intérêt exclusif, et, dans l’impossibilité de recouvrer complètement ses privilèges d’autrefois, demandait une compensation au système protecteur, dont elle comptait bien recueillir seule les bénéfices. Le gouvernement des Pays-Bas avait fait exception, car en 1822 il proposa aux chambres néerlandaises l’adoption d’un tarif fort modéré, dont les droits les plus élevés ne dépassaient pas 6 pour 100. Ce tarif, contre lequel avaient d’ailleurs protesté les députés belges, ne resta malheureusement pas longtemps en vigueur, car la législation douanière de la France, en harmonie avec les principes économiques qui prévalaient alors chez nous, provoqua entre les deux pays une guerre de tarifs qui dura jusqu’en 1830. Chacun d’eux se protégeait à l’envi contre les produits de l’autre, comme si leurs intérêts, pendant si longtemps confondus, étaient devenus du jour au lendemain absolument inconciliables. La révolution qui venait de fonder le royaume de Belgique fit succéder à cet état de guerre le régime du droit commun ; les deux gouvernemens, issus d’une même origine, ne pouvaient continuer plus longtemps un système d’hostilités avouées. Il fut même question d’aller plus loin et de contracter une union douanière franco-belge ; mais les résistances des manufacturiers français firent avorter ce projet. On était donc de part et d’autre en plein régime protecteur.

Or on sait que ce régime a pour effet, dans la répartition du prix des produits, d’accroître d’une manière factice la part du capitaliste et celle de l’entrepreneur au détriment de celle de l’ouvrier. Tout le monde, il est vrai, finit bien par y perdre à la longue, puisque, faute de débouchés, la production se ralentit nécessairement tôt ou tard. Toutefois, dans un moment donné, ce régime ne tend pas moins à favoriser les classes qui vivent de profits et de rentes au détriment de celles qui vivent de salaires. On connaît la réponse de celles-ci en 1848. Trop peu éclairées pour avoir confiance dans la liberté, elles exigèrent à leur tour un privilège qu’il fallut leur accorder, et le droit au travail fut proclamé. Cet acte, il ne faut pas l’oublier pour la justification de ceux qui l’ont commis, n’était que la conséquence logique des lois douanières que la bourgeoisie avait, de la meilleure foi du monde, fait peser pendant trente ans sur le pays tout entier. En Belgique, les mêmes fautes s’étaient succédé sans avoir eu néanmoins les mêmes conséquences ; mais, comme en France, les grands industriels s’étaient ligués pour repousser les produits étrangers. Le tarif belge était même à certains égards plus compliqué que le nôtre, ce qui n’est pas peu dire. C’est en 1846 que les amis de la liberté commerciale essayèrent de