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qu’un ami respectueux. Ainsi déçue, elle prend bravement son parti, et sur l’heure même elle se retourne vers M. de Ryons, qui lui impose par son audace froide et sa tranquille impertinence, et qui lui plaît d’ailleurs beaucoup plus que M. de Montègre, car il y a cette singularité dans la situation de cette jeune femme, que celui qu’elle voudrait pour ami veut être amant, et que celui qui lui plairait comme amant ne veut être qu’ami. Émue, troublée, les larmes aux yeux, le feu au cerveau, elle prie M. de Ryons de lui ramasser son gant, ce qu’il s’empresse de faire. — I thank you, sir, — C’était donc vous la dame du wagon de Strasbourg ? — Eh bien ! oui, c’était moi ! — Mais, madame, ce voyage est une pure invention. — Mme de Simerose s’affaisse sur elle-même, anéantie par les deux outrages qui viennent de frapper l’un après l’autre son cœur léger et inquiet. Elle vient d’être insultée deux fois en un quart d’heure de la manière la plus révoltante, et cela par des gens qui n’ont pas sur elle le moindre pouvoir. M. de Ryons n’est guère moins absurde que M. de Montègre, et la brutalité de l’un ne se comprend guère mieux que la violence de l’autre. Si c’est ainsi que l’ami des femmes, remplit d’ordinaire ses fonctions, je doute qu’il en retire des bénéfices bien considérables.

Mme de Simerose a été insultée une troisième fois dans le courant de ce même troisième acte, insultée sans qu’elle y prît garde, et cela par son propre mari. Y aura-t-il donc toujours dans les pièces de M. Dumas, quel que soit le sujet qu’elles traitent, un détail équivoque qui les marque de son cachet ? Ce détail qui ne manque jamais est comme cette petite queue de souris blanche à laquelle on reconnaît les jolies sorcières du Brocken. M. de Simerose entre chez sa femme pour lui faire ses adieux ; il part pour l’Amérique, et va essayer de se créer une vie d’action, puisque sa femme lui a refusé une vie d’amour. D’abord sa tenue est excellente et son langage irréprochable : c’est un parfait homme du monde que nous avons sous les yeux ; mais voilà que tout à coup apparaît le petit signe équivoque que nous attendions. Savez-vous ce qu’il propose à sa femme ? D’adopter un certain enfant qui bientôt n’aura plus de père, de lui donner ses soins et de l’aimer. Sa jeune femme ne se révolte pas, elle trouve la chose toute simple et promet ce qu’on lui demande : bien mieux, cette proposition inconvenante attendrit tellement son cœur sentimental qu’elle le dispose favorablement envers son mari et qu’elle est le premier anneau de leur réconciliation. Ah ! le drôle de beau monde et les drôles de gens !

Shakspeare a fait une pièce intitulée la Mégère mise à la raison ; celle de M. Dumas pourrait justement s’appeler la Femme sensible corrigée. Après la double correction que vient de recevoir Mme de Simerose, que lui reste-t-il de mieux à faire que de se réconcilier