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et au bonheur de ses enfans. Les personnages sont si bien d’accord avec eux-mêmes, si bien d’aplomb, d’une si parfaite logique, que leurs actions les plus extrêmes nous semblent une conséquence toute simple de leurs caractères, et que leurs sentimens les plus nobles ne nous étonnent pas plus qu’ils ne les étonnent eux-mêmes. Le marquis de Villemer se réduit à la pauvreté pour payer les dettes du duc d’Aléria, et ce sacrifice, qu’il accomplit sans effort, comme il l’annonce sans emphase, ne nous donne aucune envie de crier à l’héroïsme. Nous approuvons Mlle de Saint-Geneix, la jeune gouvernante, lorsque nous la voyons taire des sentimens que son devoir lui défend de laisser échapper de son cœur, et s’éloigner d’une maison où son honneur pourrait être soupçonné, sans qu’il nous vienne à l’esprit de penser un seul instant qu’elle pourrait agir autrement qu’elle n’agit. D’ordinaire l’héroïsme, la vertu, le désintéressement, le sacrifice, sont un peu raides et durs, parce qu’ils servent d’antithèses à l’égoïsme, à la cupidité et au vice, parce qu’ils sont présentés comme des exceptions au train ordinaire de la réalité ; mais ici l’héroïsme et le désintéressement semblent l’élément même de la nature humaine en bonne santé, ils sont comme dissous dans l’air que respirent les personnages. L’humanité peut être ailleurs ce qu’elle voudra ; dans ce château de Villemer, la noblesse est son élément naturel, et nous ne comprendrions pas qu’elle pût en avoir un autre. Que vous dirai-je ? Cette noblesse d’âme et de cœur est si parfaite qu’on ne la sent pour ainsi dire qu’à la longue, par l’effet d’un rayonnement insensible et lent, et qu’elle émane des personnages comme la chaleur émane des corps lumineux. La noblesse est leur manière d’être, d’exister, leur volonté n’a rien à voir dans leurs vertus, et pour agir comme ils font, ils n’ont qu’à suivre leurs instincts. Aussi ces raffinés d’honneur et de délicatesse ont-ils le charme qui émane de tous les êtres instinctifs et fidèles sans efforts à leur loi morale, c’est-à-dire la naïveté.

La nouvelle œuvre de Mme Sand rend bien difficile la tâche de la critique, car elle la réduit à l’admiration. La critique est volontiers un peu pessimiste et malveillante, et elle a même été instituée en partie pour être pessimiste et malveillante. Il ne lui déplaît pas de trouver un auteur en faute, de relever les côtés faibles d’un ouvrage, et toute erreur qui lui donne une occasion de discuter est pour elle une bonne fortune. Or Mme Sand nous refuse jusqu’à la plus petite de ces bonnes fortunes, et nous condamne à l’approbation depuis le commencement jusqu’à la fin de sa pièce. L’esprit le plus subtil chercherait vainement un prétexte de chicane. La logique des caractères est irréprochable, la beauté des sentimens sans tache, le langage pur et sans fausse note, la morale n’y reçoit pas le moindre accroc, et le cœur humain la moindre offense. Sans doute il y a au