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de tels germes si imperceptibles, si microscopiques ? C’est là le secret de cette puissance d’assimilation, dont le Marquis de Villemer, récit et drame, nous offre une double preuve. D’où croyez-vous que provienne ce charmant récit du Marquis de Villemer, qui a fait couler tant de larmes flatteuses pour ses héros et pour son auteur ? Je crois avoir découvert ce secret, et je vais vous le confier. Parmi les romanciers contemporains, un seul a eu jusqu’à présent le don de piquer l’émulation de Mme Sand, et l’heureux auteur sur qui s’est portée cette faveur d’une personne de génie est le romancier délicat auquel ne saurait manquer aucune bonne fortune, M. Octave Feuillet. Il n’a échappé à personne que Mademoiselle La Quintinie était la contre-partie de Sybille ; mais tout le monde a admiré le Marquis de Villemer sans se douter que ce récit était la contrepartie du Roman d’un Jeune Homme pauvre. Vous étiez-vous douté de rien de pareil ? Vous aviez lu le Marquis de Villemer sans plus songer au Jeune Homme pauvre que s’il n’avait jamais existé, tant les fables et les caractères des deux récits sont différens, tant leurs données sont dissemblables. Mme Sand aura lu le roman de M. Feuillet, et se sera dit tout en rêvant : « Mais pourquoi ne ferais-je pas à mon tour le roman de la jeune fille pauvre ? » Et de ce point d’interrogation est sorti le chef-d’œuvre que vous avez lu.

La transformation du récit en drame nous donne un nouvel exemple de cette incroyable puissance d’assimilation. Si j’en crois les propos des coulisses et des salons, Mme Sand, avant de composer son drame, aurait consulté un jeune auteur dramatique connu par de nombreux et solides succès, celui-là même qui a eu l’honneur de partager avec elle dans cette quinzaine l’attention du public, M. Alexandre Dumas fils. M. Dumas a construit, dit-on, la charpente des premiers actes, disposé les scènes, prodigué les mots, taillé les chevilles, préparé les mortaises devant Mme Sand, qui avait consenti, avec la docilité d’une apprentie avide de savoir et de comprendre, à travailler sous les ordres de cet ingénieux patron. Ce travail préparatoire une fois terminé, Mme Sand s’est hâtée de le défaire : il n’est pas resté une seule disposition du plan primitif, pas une entrée, pas une sortie, pas un seul trait. Ce travail a donc été inutile ? Non certes. En vertu de cette puissance d’assimilation qui la caractérise, Mme Sand avait retenu pour ainsi dire l’âme de ce travail tout en en rejetant le corps. Elle savait tout ce qu’elle avait besoin de savoir, comment on fait marcher une action avec un mot placé à propos qui change brusquement la marche du dialogue, et comment on obtient un effet pathétique avec un geste muet, un mouvement de corps, une joue présentée au baiser avec une vivacité expressive. L’emploi du baiser surtout, comme moyen dramatique, est une des nouveautés les plus charmantes du drame de Mme Sand, et