Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 50.djvu/394

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

publiques sur plusieurs points de Paris. Lebon avait entrevu tout l’avenir de cette nouvelle industrie et se préparait à l’exploiter en grand. Il avait indiqué la production de l’acide pyroligneux par la distillation du bois, les moyens de purifier le gaz du bois et de la houille, et annoncé la possibilité de le transmettre dans des tubes souterrains jusqu’à de grandes distances, afin d’en disposer pour le chauffage ou pour l’éclairage public et privé. Si l’inventeur a échoué, c’est surtout parce qu’il s’est trop attaché à présenter son appareil comme applicable à la production, dans chaque maison, du gaz éclairant, de la chaleur et du charbon épuré. On a vu depuis lors la même idée fausse se reproduire fréquemment sans plus de succès[1].

Sauf quelques essais de peu d’importance, les choses en étaient restées là, et l’on eût pu croire la question abandonnée, lorsqu’en 1792 une première tentative heureuse fut faite à Londres par Murdoch. Ce ne fut néanmoins que dix ans plus tard, c’est-à-dire vingt-six ans après l’invention primitive, que Murdoch fonda une grande Usine pour l’éclairage au gaz des vastes ateliers de construction des machines à vapeur de Watt et Bolton, à Soho, non loin de Birmingham. Les succès, jusque-là contestés, de l’éclairage au gaz en Angleterre fixèrent dès lors l’attention du public français, et le préfet de la Seine s’en occupa un des premiers. Ancien élève de l’École polytechnique, le comte Chabrol de Volvic aimait à s’entourer de savans : Fourier, Poinsot, Cagniard de Latour, Darcet, étaient ses amis. Cette question de l’éclairage au gaz lui semblait avec raison d’une importance majeure pour les intérêts de la ville de Paris ; il la fit donc étudier à fond. Un appareil destiné à l’éclairage de l’hôpital Saint-Louis fut construit par ses ordres en 1812, et il servit aux nombreuses expériences qui, sous la direction d’une commission spéciale, devaient résoudre les principaux problèmes relatifs à la production, à l’épuration, à la distribution du gaz dans Paris, et surtout à l’économie du nouveau système comparativement à l’ancien mode d’éclairage par les lampes à huile[2].

  1. Par la difficulté à peu près insurmontable de surveiller convenablement, à peu de frais, une opération aussi délicate, on serait sans cesse exposé à des explosions ou à des incendies. Il a fallu cependant que, sur l’avis des conseils d’hygiène, l’autorité intervint plus d’une fois dans l’intérêt de la sécurité générale pour empêcher l’installation de ces petits appareils dans l’intérieur des habitations, partout en un mot où le fourneau, les appareils épurateurs et le gazomètre, ne pouvant être suffisamment isolés, deviendraient un danger.
  2. Ce fut à cette occasion que Cagniard de Latour, depuis membre de l’Institut, inventa l’ingénieuse machine à laquelle son nom a été donné. La cagniardelle est une transformation de la vis d’Archimède. Le mouvement de rotation s’accomplissant en sens inverse, elle refoule les gaz, au lieu d’élever l’eau. Elle peut servir encore à mesurer le gaz écoulé, lorsque, recevant du gaz lui-même le mouvement de rotation, elle transmet par des roues d’engrenage l’indication précise du volume qui la traverse à des aiguilles tournant sur des cadrans gradués : la cagniardelle devient alors un compteur de gaz.