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tout nu pour courir au-devant de son « grand frère, » et ensuite, voyant la porte entr’ouverte, profita de l’occasion pour gagner le corridor, où un laquais galonné lui barra fort heureusement le passage. Pendant qu’on était à sa poursuite, les autres petits espiègles, à qui donnait beau jeu l’absence momentanée de leurs gardiennes, se hâtèrent de « baigner » une magnifique poupée qui resta du coup hors de service. Lord Charles, souriant tristement à leurs ébats tumultueux, les embrassa l’un après l’autre. Son frère George était à Eton, et leur aîné à tous, lord Wargrave, voyageait en Italie. Il ne lui restait donc plus qu’à prendre congé de son père et de sa mère.

Le duc venait d’acheter à l’un de ses collègues de la pairie une jument pur sang de la plus rare beauté. Cette emplette le comblait de joie ; il ne pouvait ce matin-là ni penser à autre chose, ni parler d’autre chose. Lord Charles, selon lui, aurait dû fausser compagnie à la chambre des communes pour aller secrètement à Esham vérifier par lui-même les qualités hors ligne de cet animal remarquable. Quant à la duchesse, elle était encore dans son cabinet de toilette, et par conséquent inabordable. À la voix de son fils, elle se montra cependant et le pria de cueillir dans les serres un beau bouquet de camélias pour « la petite fiancée d’Elliot. » Lord Charles, venu simplement, disait-il, pour lui souhaiter le bonjour, n’osa pas l’embrasser en la quittant.

Il demanda aux domestiques où était son frère Edward, et il lui fut répondu que « sa seigneurie venait de partir pour l’église. » Somme toute, cela valait mieux. En quittant la maison de son père, cette résidence bien ordonnée où les affections de famille, les traditions d’honneur, la renommée d’autrefois, la discipline, la dignité actuelles, formaient en quelque sorte une atmosphère spéciale, — et cela pour s’aller commettre avec un misérable bravache méprisé de tous les honnêtes gens, — il se demanda malgré lui ce que cette maison pourrait être le lendemain, à la même heure,… et cette pensée lui serra le cœur, mais ne le fit pas reculer.

Dans cette demeure patriarcale, les serviteurs prenaient rang immédiatement après les enfans. Tous ou presque tous provenaient des domaines héréditaires ; à tous l’intervention protectrice de lord Charles imposait quelque bon et reconnaissant souvenir. Il était adoré d’eux, et attachait un certain prix à leur dévouement affectueux. Ne nous étonnons pas s’il voulut, avant de partir, échanger quelques paroles bienveillantes avec ceux que le hasard plaça sur son chemin ; il fit même le tour des écuries, passant en revue chaque stalle et caressant de la voix ou du geste ses animaux favoris. Puis il retourna chez le capitaine Hertford.

Celui-ci, revenu la veille au soir, était sorti le matin de très