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le fit aussitôt reconnaître, et c’est ainsi que la révolution de Grèce tomba sous l’influence exclusive de la légation britannique.

Le 24 au malin, la frégate royale mouilla dans le port du Pirée. Le roi apprit en y arrivant que la révolution était accomplie, et qu’il lui était impossible de rentrer dans son palais. Il vit bientôt venir à son bord les représentans des puissances européennes accrédités auprès de lui, qui, loin de l’encourager, lui donnèrent tous, et celui de Bavière plus vivement que les autres, le conseil de partir en renonçant à la lutte. Tout cependant n’était peut-être pas fini pour le roi Othon. Les paysans de certaines provinces se seraient levés à sa voix, plusieurs garnisons importantes, entre autres celle de Nauplie, demeuraient fidèles ; en s’enfermant dans cette place, la royauté bavaroise pouvait conjurer encore la mauvaise fortune, ou du moins donner à sa chute un éclat chevaleresque. La reine, avec son énergie virile, et les officiers qui entouraient le roi le pressaient de prendre ce parti ; mais la bonté faible et timide d’Othon recula devant l’effusion du sang : il considéra sa cause comme perdue, et, acceptant l’arrêt de déchéance prononcé par l’insurrection, il passa sur une frégate anglaise qui le transporta bientôt à Trieste.

Qu’a gagné jusqu’à présent la Grèce à cette révolution qui l’oblige à recommencer, avec beaucoup plus de difficultés qu’à ses débuts, l’essai d’une nouvelle royauté ? Peut-être une expérience salutaire, — un des proverbes les plus répandus dans le peuple hellène ne dit-il pas que « les souffrances sont des leçons, » τά παθηματα μαθηματα ? — puis l’annexion des Iles-Ioniennes. Cette adjonction de territoire apportera en Grèce des élémens nouveaux ; elle fera entrer dans ses assemblées délibérantes des hommes formés à la vie parlementaire, et qui relèveront le drapeau des principes de la vraie liberté. Ce qui manque aujourd’hui à la Grèce, ce n’est ni la bonne volonté ni les forces nécessaires pour réagir contre l’anarchie révolutionnaire : ce sont des chefs qui lui montrent le vrai chemin et qui pensent au pays, au lieu de se préoccuper exclusivement de leurs intérêts. Les sept îles les lui fourniront, car les Ioniens ont fait leurs preuves dans une lutte inégale de dix ans, sur le terrain de la légalité constitutionnelle.


FRANCOIS LENORMANT.