Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 50.djvu/345

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

devenue une fiction à laquelle personne n’attachait de valeur, et l’on avait vu se poser une question bien grave, qui conduit infailliblement les peuples à de grandes crises politiques, la question de la part qui doit revenir au souverain dans le gouvernement.

Quoique amoureux de la liberté autant que l’étaient leurs ancêtres, les Grecs (nous parlons ici de la nation même et non de quelques brouillons), sentant parfaitement le besoin d’ordre et d’autorité dans une époque de formation comme celle qu’ils traversent, se seraient facilement soumis pour un certain temps au gouvernement absolu, s’ils avaient senti découler de ce gouvernement des bienfaits réels ; mais il eût fallu pour cela une intelligence des intérêts du pays plus juste que ne se l’était formée la royauté bavaroise. Othon Ier, qui eût pu faire, s’il l’eût voulu, un excellent roi constitutionnel, n’avait d’ailleurs aucune des qualités ni aucun des vices qui permettent aux despotes de réussir et de durer. Il n’avait ni la promptitude de résolution ni l’énergie nécessaire au rôle d’un monarque absolu. Sans doute son gouvernement a donné à la Grèce une prospérité matérielle qu’elle ne connaissait pas depuis quatre siècles, mais cette administration ne valait que par comparaison avec celle qui l’avait précédée. C’était le type d’un bon gouvernement à la turque ; or ce n’est pas ce que la Grèce espérait en demandant un roi à l’Europe. Le principal défaut du pouvoir royal c’était l’absence de tout système régulier et de principes fixes ; il vivait au jour le jour, faisant face à la difficulté du moment sans rien prévoir et sans rien fonder. Au lieu de chercher à diminuer l’esprit de personnalité dans les hommes politiques, il l’excitait en laissant de côté les questions plus élevées, en opposant les personnes aux personnes, en s’efforçant uniquement de neutraliser et d’user les ambitions par les ambitions. Le pouvoir s’abaissait en devenant le prix de l’intrigue, au lieu d’être la récompense des services administratifs, des capacités politiques ou même des talens oratoires. Le prestige de la royauté s’affaiblissait par son immixtion dans les affaires journalières, même les moins dignes. Comment le respect de la loi aurait-il passé dans le peuple, puisqu’il n’était pas dans le gouvernement ? La moralité publique ne s’élevait pas non plus, puisque les protestations les plus mensongères de dévouement à la personne du souverain suffisaient pour couvrir de toute punition les fonctionnaires prévaricateurs. L’impunité était assurée à ceux qui savaient se rendre assez puissans pour se faire craindre. Une déplorable habitude d’amnisties continuelles rendait la répression des crimes illusoire ; les recommandations de personnages politiques dont on avait besoin dans le moment arrachaient presque toujours les coupables au cours régulier de la justice, et par contre, si les mauvais demeuraient impunis, les bons étaient sans récompense. Impuissant à réprimer, le