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ce reproche avec les faits que nous révélait une expérience personnelle. Nous avons trois fois voyagé en Grèce, nous y avons fait de longs séjours dans les villes et dans les campagnes, et nous n’y avons jamais rencontré un homme qui nous ait fait tort d’un centime. C’est au point de vue commercial, il est vrai, que l’on élève le reproche de friponnerie contre les Hellènes. Cependant nous avons vu d’assez près le commerce du Levant pour savoir quelles en sont les habitudes, combien l’improbité y est générale, et pour affirmer que ce ne sont pas les négocians européens établis dans les Échelles qui ont le droit de reprocher aux négocians grecs que toutes leurs opérations ne soient pas marquées au coin de la plus scrupuleuse honnêteté. Lorsque l’on voit d’ailleurs la situation que tiennent les maisons grecques dans toutes les grandes villes de commerce de l’Occident, il est impossible d’admettre que l’improbité soit la loi constante du commerce hellénique, et qu’il ne compte pas des hommes aussi honorables que celui de toutes les autres nations.

Il y a certainement beaucoup de corruption en Grèce, principalement dans les villes, comme il y en a dans tout le Levant. Il y en a parmi les commerçans et les gens d’affaires, parmi les hommes politiques et dans les habitudes de l’administration. Une partie de cette corruption découle de la servitude, une autre provient, comme en Russie, du contact prématuré de la civilisation européenne avec des élémens qui n’étaient pas encore suffisamment préparés à se trouver sous son action directe. Nous comprenons que les voyageurs et les diplomates qui n’ont été en contact qu’avec certaines catégories de personnes et certaines classes de la société grecque en rapportent des impressions défavorables ; mais ceux qui connaissent plus à fond la Grèce savent que les vices et la corruption qui se voient à la surface n’existent pas dans la masse du pays, et disparaissent à mesure que l’on descend dans les rangs de la société. Il semble que ce soit surtout l’exercice du pouvoir qui, faute d’une bonne organisation et de principes solides, produise un effet de démoralisation, justifiant ainsi le proverbe grec qui dit : « C’est par la tête que pourrit le poisson. »

Les classes populaires demeurent étrangères aux agitations politiques ; depuis trente ans, le paysan ou l’ouvrier grec a pendu au croc dans sa chaumière le fusil de pallikare avec lequel il a combattu dans les légions de l’indépendance, pour reprendre sa charrue ou ses outils. Ami de l’ordre et fermement attaché au principe monarchique, sentant le besoin de la tranquillité et plein de bon sens, il suit d’un œil dédaigneux les luttes de l’ambition des chefs de partis, et il s’abstient de s’y mêler. C’est lui qui l’année dernière, organisé spontanément en garde nationale, a sauvé la Grèce de l’anarchie, empêché la guerre civile, étouffé le brigandage et contenu