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même vaisseau avaient péri. Ce fut du reste un vain effort, les vagues l’emportèrent, et aujourd’hui encore elle erre au clair de la lune sur les lames tremblantes avec une rose blanche à la lèvre. Plus d’un pêcheur l’a vue, et rend hardiment témoignage de la vérité du fait.

Près du Land’s End et encore plus près de l’Irish Lady s’élève sur la côte, distribué d’étage en étage, le petit village de Sennen, habité, uniquement par des pêcheurs, Sennen fishing village. Il consiste en un groupe de maisons grossièrement taillées dans le granit ; c’est à peine si les pierres de ces huttes se trouvent jointes avec du ciment. Si pauvre qu’elle soit, la maison est pour le pêcheur ce qu’est le nid pour l’oiseau de mer. Construite au flanc d’un rocher ou dans le creux d’une anse abritée des vents, elle représente pour lui le repos après la tempête. Aussi tenais-je à m’introduire dans une des habitations recouvertes de chaume et percées d’étroites lucarnes qui forment ici le type de l’architecture domestique. Un écriteau annonçant un petit commerce de détail me fournit l’occasion d’entrer sans paraître indiscret. Je fus agréablement surpris : l’intérieur de la maison valait beaucoup mieux que l’extérieur. Une cheminée avec un banc et dans laquelle brûlait du charbon de terre, un plafond peint en bleu le long duquel le poisson séchait sur une sorte de claie, un pavé sablé, un dressoir chargé de porcelaines peintes et de cristaux, — tout respirait dans ce cottage le bien-être et la propreté. Une humble boutique d’épiceries était reléguée dans la chambre de derrière. Ce village de pêcheurs appartient tout entier, avec les maisons, les barques, les filets, à un seul propriétaire, — un homme sans enfans, — ajoutait la femme qui me donnait ces détails en regardant fièrement sa petite famille. C’est à peine si les habitans de Sennen possèdent quelques minces bateaux et s’ils peuvent se livrer pour leur compte à la pêche à la ligne. Des enfans de dix ans préparent eux-mêmes les hameçons, et, au moyen d’une frêle barque chevauchant sur la tempête, attrapent d’assez gros poissons qu’ils rapportent tout glorieux à leur mère. En vain les parens rêvent quelquefois pour ces enfans une autre profession que celle de pêcheur : la mer les attire, me disait-on, comme la rivière attire les jeunes canards. Quelques-uns d’entre eux reçoivent pourtant une certaine éducation. Comme je me promenais sur les flancs escarpés du village, la mer prit tout à coup un aspect inquiétant. Le soleil disparut du ciel. Un brouillard noir et épais s’abaissa comme un voile à la surface de la mer et effaça entièrement deux rochers qui, sous le nom de Brisons ou de Sisters (sœurs), forment un des traits saillans de l’horizon. C’était le signe précurseur d’une averse. Je me réfugiai sous le porche